Passages : d’un genre l’autre

 

Avouons que lorsqu’il nous a été proposé d’aller voir Passages d’Ira Sachs en ouverture du Champs-Elysées Film Festival, l’enthousiasme n’était pas forcément au rendez-vous. On se souvenait à peine de Frankie, retenu en compétition il y a quelques années de cela au Festival de Cannes, et mettant en scène pourtant une certaine Isabelle Huppert. Reconnaissons que nous avions bien tort (non pas pour Frankie, que nous n’avons pas revu depuis) mais du moins pour Passages. D’une intrigue simplicissime, quasiment vaudevillesque, Ira Sachs parvient à tirer le maximum, à faire rire et émouvoir, successivement et aussi de manière concomitante. Sur le fil tendu de l’émotion, entre drame et comédie, Passages nous convertit au vertige de la valse-hésitation qui saisit Tomas quand il va des bras de Martin à ceux d’Agathe.

L’histoire de deux hommes qui sont ensemble depuis quinze ans et ce qui se passe quand l’un d’eux a une liaison avec une femme.

Sur le fil tendu de l’émotion, entre drame et comédie, Passages nous convertit au vertige de la valse-hésitation qui saisit Tomas quand il va des bras de Martin à ceux d’Agathe.

Au début du film, on peut se sentir rebuté par la banalité de l’intrigue, puisqu’il s’agit à nouveau d’un trio amoureux, à la grande différence que cette fois-ci, à rebours des films sentimentaux habituels, ce n’est pas la femme qui se trouve au coeur de l’intrigue, entre deux hommes, dans le style de Jules et Jim, mais un personnage a priori gay, Tomas, en couple avec Martin, qui va succomber au charme puissant d’Agathe (Adèle Exarchopoulos). La première partie du film est ainsi assez attendue, d’autant plus que Ira Sachs ne cherche pas véritablement à répondre sur le motif de la préférence de Tomas. Il semble surtout séduit par la perspective de changer de vie, de rejeter la routine qui s’était installée entre lui et son ancien amant. Sachs filme surtout un clin d’oeil à La Maman et la Putain avec ses amants qui écoutent et chantent une vieille chanson dans leur chambre.

Si Sachs en était resté là, autant dire que son film ne serait guère sorti de l’ornière. Or, progressivement, il gagne son pari en faisant trois choses : 1) en donnant progressivement à son film une tournure vaudevillesque, sinon totalement comique (le repas de famille avec les parents d’Agathe, la jalousie de Tomas à l’égard de Martin et son nouveau compagnon) ; 2) en filmant avec une rare crudité sexuelle les ébats homosexuels de Martin et Tomas, à l’occasion de retrouvailles chaleureuses ; 3) en osant dépeindre un enfant gâté de l’amour, de manière assez peu sympathique, en adolescent attardé et velléitaire qui ne peut se décider entre deux êtres qui l’attirent tout autant, et se transformant même à la fin en girouette.

En atteignant cette vérité peu aimable, que les êtres charmants se comportent parfois de la manière la plus destructrice pour eux et surtout pour les autres, Ira Sachs atteint une certaine profondeur et une humanité incontestable qui renvoie, toutes proportions gardées, au cinéma d’Antonioni, de Pialat ou de Cassavetes. Il est bien évidemment aidé de façon brillante par un trio d’acteurs au diapason, l’étonnant et magnétique Franz Rogowski, le discret Ben Whishaw et la terrienne Adèle Exarchopoulos. Un trio existentiel qui amène Passages à emprunter avec bonheur des chemins de traverse, comme Franz Rogowski roule à vélo sur des endroits interdits.

3
3.5

RÉALISATEUR : Ira Sachs 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : drame, comédie
AVEC : Franz Rogowski, Ben Whishaw, Adèle Exarchopoulos
DURÉE : 1h31 
DISTRIBUTEUR :  SBS Distribution 
SORTIE LE 28 juin 2023