Mystic River occupe une place-pivot dans l’oeuvre de Clint Eastwood. Il s’était déjà auparavant essayé à réaliser sans tenir aucun rôle dans ses films mais n’avait jamais remporté de succès jusqu’alors avec eux, comme si le grand public lui disait à chaque fois, « c’est bien gentil mais on préfère tes films quand tu joues dedans ». C’était le cas de Breezy, Bird, Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal. Pourtant il s’agissait de brillantes réussites. En 1992, Hollywood avait consacré Impitoyable de Clint Eastwood, en lui décernant les Oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur, mais dans un film où il tenait encore le rôle principal. Ironiquement, les votants lui avaient refusé l’Oscar du du meilleur acteur. Si Mystic River tient un rôle important dans son oeuvre, c’est qu’il s’agit du premier film où il ne joue pas, qui a remporté un succès critique et public incontestable (156 millions de dollars de recettes mondiales pour un budget de 30 millions). Mystic River l’a en quelque sorte autorisé à poursuivre sa carrière en ne jouant plus dans la plupart de ses films, hormis quelques rares exceptions (Million Dollar Baby, Gran Torino, La Mule, Cry Macho). C’est aussi un film-pivot car il récapitule l’ensemble de ses thèmes de prédilection, sous couvert de l’adaptation d’un roman noir de Dennis Lehane : l’enfance à protéger, le destin et la fatalité, la violence et la nuit.
Boston, en 1975. Jimmy Markum, Sean Devine et Dave Boyle sont trois amis d’enfance, mais un jour alors qu’ils jouent dans la rue, Dave est enlevé par deux étranges policiers, sous les yeux de ses deux amis impuissants. Les ravisseurs abusent sexuellement de Dave pendant quatre jours, jusqu’à ce que ce dernier réussisse à leur échapper. Mais un drame vient bouleverser leurs trajectoires 25 ans plus tard…
« Il suffit d’une décision pour changer toute une vie »
Des enfants à protéger. Mystic River met en lumière une thématique souvent apparue en filigrane chez Eastwood, celle de la protection de jeunes enfants, cf. le fils dans Honkytonk Man, le gamin de Un Monde parfait, et qui réapparaîtra dans L’Echange, voire Gran Torino. Dans la séquence introductive du film, Jimmy, Sean et Dave vont être confrontés au péril absolu de l’enfance, la pédophilie. Un seul, Dave, va y sombrer ; sa vie en sera changée à jamais. Comme l’explique Jimmy, si lui était monté dans la voiture des faux flics, son destin en aurait été modifié. Il n’aurait pas abordé sa première épouse, sa fille ne serait pas née ni a fortiori morte. Dave est monté et en est sorti avec un traumatisme qui ne le quittera plus et le conduira à battre un pédophile jusqu’au sang. Cette thématique de la mort de l’enfant et de l’innocence perdue se transmettra aux héritiers putatifs de Clint Eastwood, autres acteurs-réalisateurs, Sean Penn (The Crossing Guard, The Pledge), Ben Affleck (Gone, Baby Gone).
« Un jour, au réveil, on ne sait plus ce que c’est d’être humain ».
Suite à la mort de Katie, la fille de Jimmy, Dave est complètement déboussolé. Il sort et rentre à des heures indues, se retrouve à regarder seul des films de vampires. Il est devenu une sorte de mort-vivant, s’interroge sur son humanité. Si Mystic River est un grand film, c’est que Eastwood a su parfaitement cultiver une atmosphère de film noir, dérivant parfois vers le film de vampires ou de zombies. La nuit de la mort de Katie, les gens ne paraissent plus savoir ce qui s’est passé. Tout semble se dissoudre dans l’obscurité et la violence, dans les ténèbres d’un fleuve qui ne veut pas dévoiler ses secrets. Cette nuit paraît avoir transformé tout le monde qui ne se reconnaît plus en se regardant dans le miroir.
« De tels détails sont comme les morceaux d’un puzzle ».
Si Mystic River est si réussi, c’est parce que chaque acteur est choisi à la perfection, que ce soit Sean Penn, en père vengeur, Kevin Bacon en flic qui essaie d’être juste, ou Tim Robbins en victime pourchassée par le sentiment de culpabilité, sans même parler des actrices interprétant leurs compagnes (Laura Linney, Marcia Gay Harden) ou de l’excellent Laurence Fishburne en flic, collègue de Sean (Kevin Bacon). Le scénario avance progressivement pas à pas, comme un puzzle qui se remplit de manière inéluctable, à la manière d’une tragédie classique. Le dénouement, tout sauf politiquement correct, est marqué du sceau de la fatalité. De son côté, en plus d’une direction d’acteurs d’une maestria extraordinaire (Sean Penn et Tim Robbins obtiendront tous les deux un Oscar pour leur interprétation), Eastwood met en scène l’ensemble avec une sobriété exemplaire, sachant très bien qu’il est inutile d’en rajouter, conforme à son sens habituel de l’épure, ce qui fait de Mystic River l’un de ses plus grands films.
RÉALISATEUR : Clint Eastwood
NATIONALITÉ : américaine
GENRE : , drame, thriller, policier
AVEC : Sean Penn, Kevin Bacon, Tim Robbins, Laura Linney, Marcia Gay Harden, Laurence Fishburne
DURÉE : 2h17
DISTRIBUTEUR : Warner Bros. Studios.
SORTIE LE 15 octobre 2003


