Les chroniques de Darko – Les aigles de la République : un homme perdu dans les arcanes du pouvoir

Tarik Saleh est un réalisateur suédois d’origine égyptienne qui commence sa carrière cinématographique en 2009 avec Metropia, un long-métrage d’animation, œuvre dystopique et paranoïaque dont l’avant-première a lieu pour l’ouverture de la Semaine de la Critique au Festival de Venise. Bien que Saleh vit en Suède, la plupart de ses films se déroulent en Egypte, influencé qu’il est par le passé de son père lui-même exilé d’Egypte en 1967 sous le régime de Nasser qu’il fuit. Les Aigles de la République a fait partie cette année de la Sélection officielle au Festival de Cannes. Il y retrouve son acteur fétiche Fares Fares qui avait déjà participé au film Le Caire confidentiel qui mettait en scène l’enquête sur le meurtre d’une chanteuse en 2017 et à La conspiration du Caire en 2022 sur le destin d’Adam, le fils d’un pêcheur, qui se voit offrir le privilège d’étudier à l’Université Al-Azhar du Caire, haut lieu de l’Islam sunnite dans le monde, qui se voit pris dans un conflit opposant le pouvoir religieux aux élites politiques.

Ici, Fares Fares joue le rôle d’un grand acteur égyptien, George Fahmy, à la vie trouble qui va se retrouver mêlé sans le vouloir à un complot politique contre le pouvoir. Son dernier film se voit visé par la censure et une offre exceptionnelle lui est proposée: il doit jouer le rôle du président Abdel Fattah al-Sissi avant le coup d’Etat militaire qu’il a fomenté le 3 juillet 2013. George d’abord refuse d’accepter une commande venant du pouvoir qui sent bien sûr le parfum de la propagande, mais il se voit très vite menacé indirectement à travers son fils et se voit dès lors contraint de jouer le jeu. C’est alors qu’il va être amené à fréquenter de près ceux qu’on appelle les aigles de la République, c’est-à-dire les très proches du président. Séparé de son épouse, il vit avec une très jeune femme aspirante actrice avec laquelle les choses ne se passent pas aussi bien qu’il le voudrait, ses problèmes d’impuissance sexuelle et les disputes qui les opposent lui rendant la vie difficile. D’autant plus que l’évêque copte voit sa situation d’un mauvais œil.

C’est au cœur du pouvoir que nous plonge le film, avec toute la noirceur qu’il convient de donner à une telle thématique lorsqu’elle explore les soubassements scabreux de la psychologie humaine abreuvée de toute-puissance.

Il va alors se mettre à flirter avec la femme du ministre de la Défense, à ses risques et périls. Le personnage de George a deux faces : éclatante sur un plateau de tournage, reprenant les autres acteurs, discutant le scénario, ou en milieu mondain, sur le tapis rouge devant l’objectif des photographes; puis une autre plus trouble dans sa vie privée, une situation non officielle et difficilement avouable – étant donné l’écart d’âge entre sa compagne et lui, il fait passer cette dernière pour une amie de son fils – retenu par la honte de dire la vérité, un fils qu’il n’a pas le temps de voir et qui a tendance à lui échapper même s’il s’inquiète beaucoup pour lui. Deux visages qu’il a parfois tendance à confondre comme lorsqu’il déclame des extraits de dialogue de cinéma à son fils qui lui demande s’il se souvient d’instants passés avec lui.

Le film a lui aussi deux visages, celui d’une comédie basée sur un personnage aux aspects quelque peu minables empêché par le censeur du pouvoir, le Dr Mansour, présent en permanence sur le plateau, de déployer tout son talent d’acteur, et un virage brutalement entrepris vers le thriller politique le plus échevelé, agrémenté de scènes spectaculaires, réduisant George à une sorte de pantin désarticulé – son attitude, épaules voûtées, cheveux décoiffés et col décravaté en attestent – qui ne sait plus à quel saint se vouer pour sortir sain et sauf de ce guêpier tout en mettant à l’abri les siens. Abandonnée l’idée première du film dans le film – fausse piste – qui avait été mise en place au départ, et mise en avant de la trame politique, sur fond de dénonciation du pouvoir autoritaire de al-Sissi. C’est au cœur du pouvoir que nous plonge le film, avec toute la noirceur qu’il convient de donner à une telle thématique lorsqu’elle explore les soubassements scabreux de la psychologie humaine abreuvée de toute-puissance.