Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse : un trip qui tique…

On ne présente plus Michel Ocelot, arrivé à un septième long métrage d’animation (un neuvième si l’on compte les trois épisodes de Kirikou), féru de cultures, d’Histoire et de pédagogie : Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse n’échappe pas à cette règle des trois, dont le récit est lui-même un triptyque se passant sur trois territoires, de l’Orient à l’Occident – en Égypte, en France et en Turquie – et durant trois époques – l’Antiquité, le Moyen-Âge et le XVIIIe siècle –, et relié par la mise en abyme d’une conteuse venue raconter ces histoires à un groupe qui l’écoute… Le film commence en effet avec le personnage de la conteuse, moderne avec sa coupe punk – et la voix de la comédienne Aïssa Maïga – derrière un échafaudage de chantier et devant une assemblée d’ouvriers : bien qu’ils ne soient pas des enfants, eux aussi, durant leur pause déjeuner, ont besoin de ce plaisir auditif et de rêver par l’intermédiaire d’histoires, qui ne seront finalement pas tant pour enfants ! Devant leurs questions sur ce qui les attend dans une cacophonie générale, la conteuse ne manque pas de rassurer les adultes : personne ne sera déçu, on peut tout raconter… Cette phrase qui laisse penser que l’imaginaire est sans fin entendra pourtant son pendant à la fin des 1h23 de film lorsqu’une des héroïnes du troisième conte exprimera sur son carrosse, à son amoureux : « Les contes, c’est fini ». D’ailleurs, le film ne se clôturera pas sur la présence des premiers auditeurs (drôle d’ellipse) mais préfèrera se clore sur une réussite, digne des plus beaux contes : la victoire amoureuse et sociale des deux jeunes Turcs, libres d’esprit, habiles, généreux, responsables et plutôt modernes face à leur sort, et alors que rien n’était fait pour qu’ils se rencontrent. Si l’on file la métaphore, c’est à se demander s’il ne faudrait pas en passer par de nombreux obstacles prompts à se faire se creuser la tête, pour réussir quelque chose et quelque chose de nouveau… Le film d’Ocelot n’est ni nouveau ni innovant, il respire juste la beauté et la magie qu’on lui connaît déjà – c’est déjà ça –, et qui parviennent malgré tout à transcender une forme de présence mélancolique.

Si l’on file la métaphore de la création, c’est à se demander s’il ne faudrait pas en passer par de nombreux obstacles prompts à se faire se creuser la tête, pour réussir quelque chose et quelque chose de nouveau…

Trois récits donc dans lesquels nous rencontrerons dieux ou déesses, rois et reines, vizirs et sultans, directement, même s’il sera aussi question d’ouvriers, de bâtisseurs, de servantes, de bourreaux ou de commerçants, comme on le verra dans la transformation du jeune héros turc devenu marchand et prince… des beignets. Dans ces trois contes, il sera question de parentalité et d’autoritarisme, d’enfermement et de liberté, d’émancipation et de responsabilisation, au service de victoires sociales ou affectives, de bons sentiments… Et, dans ces trois histoires, il sera question trois fois d’amour, puisque tour à tour, un prince soudanais devenu pharaon, un sauvage auvergnat redevenu prince, un prince turc devenu roi re.trouveront leur dulcinée, mieux, les aideront à conquérir leur… liberté. C’est que les traditions, même si elles sont un peu détournées, restent prépondérantes et, dommage, trop éloignées d’une modernité. Au passage, si l’on fait le topo des cinq personnages féminins auxquels le spectateur est directement confronté, héroïnes d’un conte ou dignes des mythes antiques, ils sont soit tyranniques – telles la mère soudanaise ou la déesse égyptienne Sekhmet –, soit dépendante d’un homme qui viendra les sauver des mains de leur tyran de mère ou de père – telles la princesse soudanaise ou sa mère, et la princesse turque – quand le personnage n’est pas en hors-champ, comme la princesse auvergnate auprès de qui l’on accède que par son chant ! N’ayons crainte le jeune « beau sauvage » auvergnat hérite d’un père un peu plus qu’autoritaire. Michel Ocelot choisit bien de revenir aux sources du genre du conte, même s’il accole aux jeunes filles des qualités intellectuelles…

C’est que les traditions, même si elles sont un peu détournées, restent prépondérantes et, dommage, trop éloignées d’une modernité.

Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse est donc l’histoire de trois films d’animation, avec leurs techniques respectives et leurs figures d’antan.  Le premier, Tanouekamani s’en va en guerre pour devenir Pharaon car c’est l’unique condition pour que la méchante régente soudanaise accepte qu’il épouse sa fille, la belle Nasalsa. Ocelot, fasciné par la civilisation égyptienne, dit s’être inspiré des bas-reliefs et d’une traduction du récit de la Stèle du songe (VIIe siècle av. J.-C.) qui évoque la reconquête de l’Égypte, et s’est même entouré de Vincent Rondot, le directeur du département égyptien du Louvre. C’est une animation en deux dimensions à plat qui fait apparaître les personnages dans des immenses champs désertiques où s’affrontent les conquérants, les Dieux et déesses tombés du ciel – tour à tour Isis, Amon-Re, Sehkmet, Khnoum, Osiris à qui le héros demande aide et grâce, qu’il obtiendra tant il est généreux à leur égard –, et des décors fabuleux aux couleurs des lapis-lazuli. On ne vous dit rien de l’issue tant elle est prévisible… Le second récit – inspiré du Trésor des contes d’Henri Pourrat – consiste en l’émancipation d’un jeune héros français, pris entre les griffes et à l’inverse de son dictateur de père : le travail sur les silhouettes noires, jouant avec la lumière et dans des clairs-obscurs, rappelle le théâtre d’ombres chinoises. Dans le décor du château, l’enfant virevolte partout (il saute sur des balustrades, des colonnes, des encadrements de lits, des toits comme une sauterelle) à défaut de pouvoir tout simplement lire, écrire, jouer, et s’isole avec une balle rouge qu’on verra rouler mille fois dans le couloir d’un cachot qui l’amènera à faire un acte de résistance auprès d’un prisonnier. Banni pour sa générosité, sauvé par les vassaux et isolé dans la forêt, il va s’émanciper en déployant des qualités physiques complémentaires faisant de lui un nouveau Robin des bois… Le dessin se fait plus précis que précédemment, les dialogues s’affirment, voire se complexifient, et on ne vous raconte pas l’issue…. C’est enfin en Turquie, en faisant s’alterner des décors au marché où l’on rassemble des pastèques, beignets à la cannelle, brochettes arméniennes, yaourts bulgares, raisins de Corinthe et loukoums, et des décors somptueux inspirés du Palais de Topkapi que le film d’animation se termine. Effets 3D garantis, c’est ici la rencontre de la princesse des roses et du prince des beignets qui nous fait traverser une Istanbul joyeuse, colorée, cultivée – bien que les vizirs enferment leur fille – et un nouveau jeune héros, suffisamment fantaisiste et imaginatif pour reprendre en main son destin. Ainsi ce sont tour à tour les mondes de Kirikou, Princes et princesses et Azur et Asmar que nous aurons croisés… et ponctués par les intermèdes d’une conteuse qu’on ne verra plus jamais…

Trois récits, trois univers, trois temporalités, trois techniques d’animation, pour un triptyque qui devient pourtant peu à peu magique…

Bien qu’il soit regrettable que les morales de ces trois histoires soient trop fidèles aux contes dont elles s’inspirent, et ne soient en rien déroutantes, on ne peut nier que le spectacle fut incroyable. À l’œil et pour l’oreille, Ocelot reste fidèle à ses propres coutumes, et dans un format court, parvient à emporter un spectateur naïf dans la poésie sa manière de raconter et d’illustrer. Et c’est peut-être alors à un spectateur adulte qu’il s’adresse, car certains de ces choix serait sans doute invisibles à l’enfant d’aujourd’hui comme la teneur des discours que le film véhicule. Quoiqu’il en soit, il faut continuer de raconter des histoires, à l’autre, plutôt qu’à soi…, et aussi d’entendre des voix, et l’une qui nous rend inconditionnels, celle de Didier Sandre…

3

RÉALISATEUR : Michel Ocelot
NATIONALITÉ : France 
AVEC : Oscar Lesage, Claire de La Rüe du Can, Aïssa Maïga, Serge Bagdassarian, Didier Sandre, Michel Elias, Patrick Rocca, Bruno Paviot, Annie Mercier, Gaël Raës
GENRE : Film d'animation
DURÉE : 1h23
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
SORTIE LE 19 octobre 2022