L’arbre de la connaissance : initiation surréaliste d’un jeune homme à l’amour

Promoteur de l’art baroque au théâtre, Eugene Green est un dramaturge – avec sa compagnie qu’il fonde à la fin des années 1970 : le Théâtre de la Sapience –, écrivain et réalisateur français d’origine américaine (il est né en 1947 à New-York), mais il ne se lance dans le cinéma qu’au début des années 2000 avec Toutes les nuits qui obtient le prix Louis-Delluc, attirant notamment l’attention de Jean-Luc Godard qui le cite comme un de ses films préférés. Il nous livre ici un film se déroulant au Portugal – dont une partie à Lisbonne – en langue portugaise avec des acteurs du pays. Gaspar est un adolescent qui vit chez ses parents avec son petit frère, entre un père alcoolique et une mère furieuse qui lui enjoint de trouver un travail comme apprenti. Il décide alors de fuguer à Lisbonne, errant dans les rues, chapardant et dormant dans un parc. C’est là qu’il est enlevé et remis entre les mains de celui qu’on appelle l’Ogre

Muni du don de transformer les hommes en animaux dont il dévore ensuite la chair – d’où son surnom – avant de vendre les restes aux restaurants des alentours, il fait de Gaspar son appât pour attirer des touristes afin de les métamorphoser à leur tour. Les disparitions se succèdent et la presse ainsi que les pouvoirs publics s’en émeuvent. Par un concours de circonstances, Gaspar prend sous son aile deux touristes transformés en animaux, l’ânesse Helena dont il tombe progressivement amoureux ainsi que le chien fidèle qu’il prénomme Federico. Le film a tous les traits – et les attraits – d’un conte merveilleux; on y rencontre un fantôme, une sorcière, une femme mi-serpent mi-humaine ainsi qu’une reine aux dons magiques qui offre refuge au jeune homme. Cependant, à l’encontre du genre – « il était une fois » –  le récit se situe dans un temps bien précis, celui de l’époque contemporaine.

On apprécie à leur juste valeur les nombreuses saillies des personnages à l’encontre du capitalisme, ainsi que du tourisme qui en émane, considérés comme un Mal qui dévore l’humanité.

L’Ogre a conclu un pacte avec le Diable, mais un Diable d’aujourd’hui qui a Internet et géolocalise les individus à l’aide de la technologie moderne. Il lui a vendu son âme en échange de ses dons. Un Diable qui a tout d’un grand capitaliste qui fait des affaires avec les hommes. On apprécie à leur juste valeur les nombreuses saillies des personnages à l’encontre du capitalisme, ainsi que du tourisme qui en émane, considérés comme un Mal qui dévore l’humanité. Face à un monde dangereux, Gaspar traverse donc de nombreuses épreuves avant de trouver l’amour et le bonheur. Le film se veut un récit initiatique nous présentant le jeune garçon comme un personnage en quête de lui-même et de son autonomie, ce qui passe par une rupture avec l’autorité de ses parents qu’il aime malgré tout.

Ici, le Bien s’identifie avec l’Amour qui donne du courage et renforce le tempérament. Au nombre des adjuvants traditionnels du conte, on peut compter la Reine du Portugal, personnage issu de l’Ancien Temps avec ses serviteurs en livrée qui n’a de cesse de vilipender la République et la manière dont sont traités les hommes en son sein, dénonçant l’injustice faite à la mémoire de l’Ancien Temps et rétablissant la vérité à l’encontre de son plus cruel ennemi. Cette parenthèse dans le temps coïncide avec la protection dont bénéficient Gaspar et ses compagnons durant leur séjour – enchanté – au château. Alors que le balai volant de la sorcière est quant à lui quelque peu modernisé. Mais la réalisation fait que l’on ne ressent pas de heurts entre les époques et les lieux différents au sein desquels se déroulent l’histoire, comme si cela allait de soi. Magie surréaliste du cinéma. Et une bien belle histoire, optimiste – une fois n’est pas coutume – qui donne de l’espoir en la jeunesse. Une belle expérience de cinéma.

4

RÉALISATEUR : Eugene Green
NATIONALITÉ : France, Portugal
GENRE : Drame, conte
AVEC : Rui Pedro Silva, Ana Moreira, Diogo Doria
DURÉE : 1h41
DISTRIBUTEUR : JHR Films
SORTIE LE 19 novembre 2025