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La Soufrière – Gasherbrum, la montagne lumineuse : de l’homme face au danger fascinant des hauteurs

La Soufrière (1977)

Voyageur infatigable, Werner Herzog dans ses documentaires est en quête d’évènements extraordinaires capables de manifester en l’homme qui les vit ses qualités essentielles, ce qui fait de lui un être humain à part entière. Dès 1975, les sismographes s’agitent et laissent supposer qu’une éruption volcanique de La Soufrière est imminente. La Soufrière, c’est un volcan en activité situé sur l’île de la Guadeloupe dans les Antilles françaises. Si cette catastrophe inévitable comme l’indique le sous-titre du film devait avoir lieu, elle aurait la puissance de cinq ou six bombes atomiques. 75000 habitants sont alors évacués de Basse-Terre, au pied du volcan, vers Grande-Terre et Point-à-Pitre. Mais Herzog apprend par la presse que trois paysans ont refusé de quitter l’endroit. Il se rend sur place avec son équipe de tournage. La ville de Caspeterre-Belle-eau, 17000 habitants est complètement désertée et Herzog filme un paysage urbain de fin du monde aux allures apocalyptiques : vitrines pillées, animaux qui errent dans les rues, feux de signalisation continuant absurdement à fonctionner pour personne.

Caractère cyclique d’une nature dévastatrice qui vient se rappeler à nous et à la fragilité de l’existence humaine.

L’équipe tente de se rapprocher du sommet pour filmer de près l’éruption si tant est qu’elle ait lieu, mais les images spectaculaires attendues laissent place aux nuages de soufre menaçants émanant du cratère. La possibilité d’un film faisant état des forces prodigieuses – et destructrices – de la nature est rendue caduque. L’éruption se fait attendre. Alors, Herzog et ses compagnons filment depuis un avion la ville menacée d’anéantissement en un travelling aux accents de tragédie. Et décide d’enchâsser dans le récit-cadre de l’éruption du volcan de la Soufrière celui de la Montagne Pelée ayant englouti complètement la ville de Saint Pierre en Martinique en 1902, clichés photographiques à l’appui. Caractère cyclique d’une nature dévastatrice qui vient se rappeler à nous et à la fragilité de l’existence humaine. Quant aux paysans, ils semblent déterminés à attendre là la mort qui doit les prendre et s’en remettent à Dieu ou à la destinée, sans manifester de peur particulière. Humilité de l’homme simple dans sa nudité, car le documentaire a pour effet de faire ressortir la condition pauvre des Noirs abandonnés de l’île. Echec et absurdité d’une entreprise qui se voulait grandiose puisque le film s’apparente finalement à un documentaire sur une catastrophe inévitable qui n’a pas eu lieu. Pour autant il nous apporte un témoignage terrifiant sur les forces de la nature toujours sur le point de nous engloutir et sur la relation que l’homme entretient à leur égard, éclairant par là l’essence de l’homme à travers sa confrontation avec la mort.

Gasherbrum, la montagne lumineuse (1985)

Werner Herzog et son équipe de tournage suivent deux alpinistes tyroliens qui partent à l’assaut d’un groupe de sommets situé à la frontière entre la Chine et le Pakistan et appelé le Gasherbrum. Les deux hommes vont tenter pour la première fois dans l’Histoire de grimper successivement deux sommets, le Gasherbrum I et le Gasherbrum II, culminant chacun à plus de 8 000 mètres d’altitude. Reinhold Messner, italien de langue allemande, est un alpiniste confirmé qui a déjà affronté différents sommets à travers le monde: il fut le premier à avoir réalisé l’ascension de l’Everest sans oxygène en 1978, puis de nouveau seul en 1980. Il a été élu député européen des Verts de 1999 à 2004. Son coéquipier, quant à lui moins expérimenté, est guide de haute montagne. Les deux hommes prennent le soin de choisir leurs porteurs au sein du petit village pakistanais qui leur sert de camp de base puis entament l’ascension.

Le danger est à la hauteur de la magnificence du décor qui nous entoure.

Ce qui frappe avant tout c’est le grandiose des paysages montagneux au milieu desquels les hommes apparaissent minuscules souligné par des plans d’ensemble mettant en valeur la disproportion entre les deux. Un long travelling vertical monte le long de la paroi rocheuse enneigée du Gasherbrum signalant la distance qui les sépare encore du sommet en même temps que la dangerosité de l’entreprise. Le danger est à la hauteur de la magnificence du décor qui nous entoure. Un torrent impétueux qui prend la moitié du cadre nous fait ressentir la sauvagerie des éléments en butte desquels les hommes se portent et face auxquels ils ne sont que fétus de paille. Les porteurs quittent tous ou presque l’expédition au fur et à mesure qu’on se rapproche du but. Mais lorsque la parole est laissée à Reinhold, l’on comprend que cette expérience est vitale pour lui et qu’il ne fait que répondre à un appel intérieur pressant qui lui enjoint de continuer un acte qu’il considère comme un acte créatif. A travers cette expérience, c’est donc l’être d’un homme qui se manifeste et laisse sa trace, comme une ligne écrite sur la paroi enneigée. C’est l’homme mis à l’épreuve de lui-même. Un homme illuminé au sens plein du terme.

4.5

RÉALISATEUR : Werner Herzog
NATIONALITÉ : Allemagne de l'Ouest
GENRE : Documentaire, drame
AVEC : Jörg Schmidt-Reitwein, Edward Lachman, Reinhold Messner
DURÉE : 30 min (La Soufrière), 45 min (Gasherbrum)
DISTRIBUTEUR : Potemkine Films
SORTIE LE 3 décembre 2014 (reprise le 19 novembre 2025).