La Rumeur : le vent de la calomnie

Edition Médiabook Blu-ray + DVD + Livre de 68 pages chez Wild Side Vidéo. 

Après le merveilleux Voyage à deux de Stanley Donen, Wildside poursuit dans la redécouverte en prestigieuse édition collector des films interprétés par la gracieuse et aérienne Audrey Hepburn avec La Rumeur, film méconnu de William Wyler, qui la voit confronter son talent d’actrice à celui de Shirley MacLaine, moins aguerrie à l’époque. A l’époque, Wyler émergeait à peine du triomphe aux Oscars de Ben-Hur (11 Oscars, record seulement égalé par Titanic de James Cameron et Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du roi de Peter Jackson). Audrey Hepburn venait d’incarner un rôle iconique dans Diamants sur canapé de Blake Edwards, tandis que Shirley MacLaine était consacrée grande actrice dans La Garçonnière de Billy Wilder. En dépit de ce trio gagnant, La Rumeur connut un échec considérable qui marqua chacun des trois collaborateurs comme un souvenir cuisant. Il est sans doute temps de réhabiliter aujourd’hui La Rumeur comme classique hollywoodien, ayant pris des risques sans précédent, en abordant de front les thèmes de l’homosexualité féminine, de la délation et de la calomnie. Wildside s’y consacre en sortant un très beau coffret collector autour de ce film, contenant ses Blu-ray et DVD, ainsi qu’un livret de 68 pages, spécialement rédigé pour l’occasion.      

Il est sans doute temps de réhabiliter aujourd’hui La Rumeur comme classique hollywoodien, ayant pris des risques sans précédent, en abordant de front les thèmes de l’homosexualité féminine, de la délation et de la calomnie. Wildside s’y consacre en sortant un très beau coffret collector autour de ce film, contenant ses Blu-ray et DVD, ainsi qu’un livret de 68 pages, spécialement rédigé pour l’occasion.

Deux amies de longue date, Karen et Martha, ont ouvert un pensionnat de jeunes filles qui jouit d’une bonne réputation. Fiancée au docteur Cardin, Karen culpabilise à l’idée de quitter l’école, ainsi que sa meilleure amie Martha. L’avenir du pensionnat sera bouleversé lorsque une jeune élève Mary va propager une rumeur sur ce qui serait plus qu’une amitié entre Karen et Martha…

A l’heure où l’homosexualité demeure encore tabou dans une grande partie conservatrice de la société, on n’ose imaginer ce que cela a pu être dans les années 60. Bien avant Philadelphia, premier film grand public à aborder la thématique de l’homosexualité, La Rumeur constitue une première approche de cette thématique. Certes William Wyler aborde le thème avec des pincettes : le personnage de Karen n’est pas lesbienne et d’une certaine manière, celui de Martha reste une homosexuelle qui n’est jamais passée à l’acte, même si elle n’a en l’occurrence pas connu non plus de relations hétérosexuelles. Shirley MacLaine reprocha d’ailleurs Wyler d’avoir édulcoré le personnage de Martha en coupant de nombreux plans au montage, qui montraient davantage l’attirance physique qu’elle ressentait pour Karen. Wyler répondit que La Rumeur était peut-être davantage un film sur le pouvoir du mensonge que sur le saphisme. Wyler s’y attaquait pourtant pour la deuxième fois, ayant déjà adapté la pièce de Lilian Hellman dans Ils étaient trois en 1936 avec Miriam Hopkins et Merle Oberon. En 1936, Wyler avait complètement trahi la pièce, en transformant un potentiel couple lesbien en couple hétérosexuel, ce qu’il regrettait amèrement. En 1961, vient enfin l’occasion pour Wyler de rétablir la bonne version. Mais il craignit l’accueil du public et coupa donc certains plans. Si Shirley MacLaine garda un mauvais souvenir de l’expérience, il en fut presque de même pour Audrey Hepburn par rapport à la réception du film. Elle redouta de s’être aliénée une partie de son public en faisant partie d’un couple lesbien potentiel et fit ensuite très attention à ne point le choquer lors de la suite de sa carrière.

Si La Rumeur, échec public et critique à sa sortie, a été plus ou moins désavoué par ses principaux créateurs, ce qui explique qu’il ait été laissé dans l’ombre depuis les années 60, il mérite certainement un revisionnage plus indulgent aujourd’hui car il se trouve davantage en phase avec la société contemporaine. Les personnages d’homosexuel(le)s refoulé(e)s ont conquis droit de cité dans les cinémas américain et international.  De nos jours, le personnage de Martha, même s’il en existe encore des exemples, apparaît presque suranné. Il est bien plus courant de constater que les homosexuels sont moins réprimés et se battent davantage pour la reconnaissance de leur individualité et de leurs droits. Toutefois, là où La Rumeur a pris une dimension d’une tragique actualité, c’est surtout dans la répercussion des mensonges, en particulier sur les réseaux sociaux. Wyler montre ainsi avec beaucoup d’avance comment la calomnie peut détruire des vies. La manière dont Karen et Martha vont voir leur existence professionnelle réduite à néant, se montre d’une extrême justesse et d’une précision quasiment clinique. C’est ce qui fait aujourd’hui la grande force de La Rumeur, peut-être bien plus que le traitement un peu dépassé de l’homosexualité qui sert de prétexte au déferlement de haine.

Si l’on se penche sur les prestations du trio qui se trouve à l’origine du film, on remarquera qu’Audrey Hepburn s’évade pour une fois de son registre gracieux et pétillant, en se montrant sous un jour triste et dépressif. Les rares plans qui la montrent se promenant esseulée devant l’entrée du pensionnat se révèlent assez poignants car Audrey Hepburn ne s’est jamais montrée aussi désespérée que dans ce film. Néanmoins, c’est Shirley McLaine qui possède le rôle le plus bouleversant, en campant Martha, jeune lesbienne refoulée qui ne s’est jamais réellement aperçu de son attirance pour les femmes. L’issue tragique de son personnage pourra à juste titre bouleverser. En revanche, on peut peut-être émettre quelques réserves sur la contribution de William Wyler. Aujourd’hui, la critique ne bat plus au diapason du fameux cri de guerre de Roger Leenhardt « A bas Ford, vive Wyler! », émis dans les années cinquante. La situation s’est même inversée. Claude Chabrol a même exprimé une sentence définitive : « Wyler, c’est un type qui ne peut pas donner de complexes à un cinéaste« . Les maîtres incontestables du cinéma américain sont devenus Ford, Hawks, Wilder, Walsh, Mankiewicz, Hitchcock, etc. Wyler est désormais passé au second plan, surtout connu pour avoir tourné des mélodrames flamboyants avec Bette Davis (La LettreLa VipèreL’Insoumise) et Olivia de Haviland (L’Héritière), le multi-oscarisé Ben-Hur et Vacances romaines révélant déjà Audrey Hepburn. Or si les caractéristiques stylistiques sont assez limitées (une utilisation systématique de la profondeur de champ, une belle disposition théâtrale des personnages dans le plan, une remarquable direction d’acteurs, compensant un dispositif de cinéma d’enregistrement), la personnalité de Wyler paraît nettement plus complexe, riche et passionnante qu’une simple réputation de metteur en scène pour l’académie des Oscars, un film comme L’Obsédé étant particulièrement troublant, presque autant que Psychose ou Le Voyeur, pourtant bien plus reconnus. Porté par une interprétation de grande classe (Hepburn et MacLaine dans le même film pour la seule et unique fois), La Rumeur prouve ainsi que Wyler, sans arriver évidemment au niveau des cinéastes précités, était sans doute bien plus intéressant que la réputation académique qui lui a été faite.