La Montagne : entretien avec le réalisateur Thomas Salvador

Au fond de l’eau ou sur les cimes d’une montagne, le cinéaste français Thomas Salvador ne cesse d’explorer et de confronter, avec un certain sens du décalage, le corps et son environnement. Après le singulier Vincent n’a pas d’écaille, son premier long métrage sorti en 2014, le réalisateur et acteur prend de l’altitude avec La Montagne, un beau et envoûtant moment de cinéma. Le hasard fait bien les choses, c’est justement à la montagne, à Les Arcs Film Festival, que nous avons eu l’occasion de rencontrer Thomas Salvador pour échanger sur son dernier film.


Pouvez-vous nous parler de l’origine du projet ?

Le film vient de loin (rire). Il vient d’abord de ma passion pour la montagne, sur Wikipédia il est d’ailleurs indiqué que je suis alpiniste, mais ça n’a jamais été mon métier. Quand j’étais adolescent, je voulais être cinéaste et guide de haute montagne. Je pense qu’être guide, c’était un fantasme, j’ai néanmoins beaucoup parcouru les montagnes durant dix ans. Depuis très longtemps, j’ai l’idée de ce personnage qui découvre la montagne et ne veut plus descendre. En réalité, ça aurait pu être mon premier long métrage il y a plus de quinze ans.

J’avais commencé à écrire un film dans lequel j’aurai incarné un jeune alpiniste, un peu fou, qui veut rester en haut, et il y aurait eu une sorte de poursuite silencieuse avec un véritable alpiniste, parti à ma recherche. L’alpiniste que j’avais en tête, qui était une figure pour moi, est décédé quelques jours avant notre rendez-vous. J’ai mis du temps avant de retrouver une impulsion. Après Vincent n’a pas d’écailles, le film de montagne est revenu, et notamment ce personnage qui ne veut pas descendre.

Il y avait déjà un aspect fantastique dans cette première monture du scénario ?

Le récit s’est adapté à l’époque. A l’origine, il n’y avait pas de dimension fantastique. Dès que je suis revenu sur l’idée de ce film, j’ai su que Pierre, le personnage principal, allait faire une rencontre à la fois amoureuse et avec « autre chose ». Très vite, j’ai également voulu intégrer l’effondrement des montagnes du fait du réchauffement climatique.

Dans le film, votre personnage découvre que des sortes de lumières peuplent les montagnes. Qu’est que signifie pour vous cette rencontre ?

L’idée, c’est cette rencontre entre le vivant, la nature. Le personnage fait l’expérience de ressentir qu’il est fait de particules, qu’il est minéral, animal, qu’il fait intégralement parti du monde qui l’entoure. Il entre en contact avec quelque chose de primitif, d’un peu originel.

Lors d’une scène, on voit Pierre manier un robot lors d’un rendez-vous : on comprend qu’il n’est plus en contact avec les choses, il y a un intermédiaire.

Oui, et en s’aventurant dans la montagne, il est touché, voire même traversé par le réel.

Comme dans votre précédent long métrage, Vincent n’a pas d’écailles, on retrouve un personnage possédant un corps utopique. D’où vous vient ce désir ?

Je pense que cela vient de mes premiers émois de spectateur. Je me souviens du premier film que j’ai vu dans une salle de cinéma, c’était Les fiancés en folie de Buster Keaton. Depuis toujours, lorsque je vois sur un écran quelqu’un qui cours, qui danse ou qui sort du quotidien, ça me fascine. Que ça soit dans les films de kung-fu de Jackie Chan, ceux de Jacques Tati ou dans la comédie musicale, le corps devient autre chose. J’aime la dimension burlesque, acrobatique, chorégraphique de ces cinémas.

D’une certaine manière, jouer sur les cordes du fantastique vous permet d’atteindre plus facilement le réel.

Pour moi, le fantastique c’est un accès direct à beaucoup de choses. C’est très concret, quand c’est bien fait, ça crée des sensations, des émotions, et même temps, c’est une porte entrouverte sur des symboliques, la politique ou la philosophie. On peut voir un film sous plusieurs prismes. Parfois on me dit « ah mais vous connaissez donc ce philosophe » et je réponds simplement que non. Les spectateurs voient des choses profondes, mais il y a d’abord une émotion, et c’est ça qui m’importe. Le fantastique permet d’aller droit au but.

En plus de l’aspect fantastique du film, il y a aussi un véritable travail autour de l’observation. C’est une autre façon de raconter cette rencontre avec la montagne.

Le récit le fait parce que le personnage le fait. Il réapprend à regarder son environnement, ce qui l’entoure, il y a un parcours initiatique. En faisant ça, il se débarrasse de son côté mécanique, automatique. On est tous un peu dans la même situation, moi le premier. On ne questionne pas toujours nos comportements. Lui, il retrouve cet espace, ce temps, pour faire l’expérience de cette liberté.

Au final ce n’est pas tant une fuite, comme on pourrait d’abord le croire, mais un retour.

Tout à fait, c’est un retour à lui. Ce n’est pas un personnage en crise, en rébellion, au contraire d’ailleurs, il fait ça en douceur, il s’en excuse auprès de ses proches, de son travail. Il souhaite faire ça et il ne sait même pas très bien lui-même pourquoi. C’est un désir profond, il apprend à s’écouter et tente de suivre son instinct. En creux, il y a ce qu’il peut fuir. Après la crise sanitaire, beaucoup de gens sont venus me voir pour me dire « c’est génial, vous avez écrit après le déconfinement, on a envie de retirer le masque et de prendre de la hauteur, de se reconnecter avec la nature ». Je pense que ça traite d’un sujet quelque part universel, et en effet actuel.

En parlant d’actualité, le film témoigne notamment de la transformation de la montagne, avec la fonte du permafrost. Pierre perçoit directement ce changement.

Le film traite de l’écologie et du réchauffement climatique, deux gros sujets d’actualité. En Europe, le gros indicateur du changement climatique c’est la mer de la glace, Son niveau descend d’année en année, c’est concret et dans le film, le personnage le voit. Un des cinéastes que je préfère, David Cronenberg, fait du cinéma très concret. On est à hauteur d’homme, dans la respiration, et il se passe des choses incroyables, par le corps, l’humain.

On imagine que filmer en altitude n’est pas simple. Comment s’est passé le tournage ?

On a tourné avec une équipe très restreinte, ce qui nous a permis de tourner beaucoup de jours. La météo était horrible, la pire depuis vingt ans. Quand on était au-dessus de 3000 mètres, durant trente jours, on était cinq. Il y avait notamment un chef-opérateur alpiniste et deux guides de hautes montagnes. Certains jours, on ne pouvait pas travailler plus de deux heures, en raison des conditions météo, de la marche d’approche ou de la fatigue.

Cette approche donne un côté documentaire au film.

Complétement. On a senti, pour certaines scènes, que l’on était là quand il fallait. J’espère éviter l’aspect carte postal, c’était très fort pour nous. On a pu tourner l’instant, ce qui était en adéquation avec le sujet du film. Ça donne envie d’aimer la montagne.

Pour conclure, quel est votre prochain projet ?

J’hésite entre deux projets. Le premier serait un film fantastique proche d’une série B et l’autre, qui est mon favori, un mélange entre une comédie, un film qui fait peur, policier, musical et une fois encore, fantastique. Oui, il y a beaucoup de registres, il va falloir trouver les bons axes (rire).

Entretien réalisé en décembre 2022 dans le cadre de Les Arcs Film Festival 2022.