La Belle époque : nostalgie, quand tu nous tiens…

L’année dernière, la case du film français en Sélection officielle hors compétition était occupée par Le Grand bain de Gilles Lellouche, ce qui lui a permis d’atteindre un succès phénoménal ainsi qu’un nombre record de nominations aux César. Cette année, la place est dévolue à l’un des meilleurs amis de Lellouche, Nicolas Bedos qui signe ici son deuxième film, La Belle époque. On attendait du jeune homme brillant, aux textes décapants et à l’ironie acerbe, qu’il a longtemps été, une confirmation au plus haut niveau artistique. Après Monsieur et Madame Adelman, coup d’essai intéressant et ambitieux, La Belle époque confirme tout son talent à travers ses obsessions récurrentes : la nostalgie du passé, la fascination pour les années soixante-dix, les tumultes de la passion, le vieillissement, la narration éclatée en mille-feuilles. 

Après Monsieur et Madame Adelman, coup d’essai intéressant et ambitieux, La Belle époque confirme tout le talent de Nicolas Bedos à travers ses obsessions récurrentes : la nostalgie du passé, la fascination pour les années soixante-dix, les tumultes de la passion, le vieillissement, la narration éclatée en mille-feuilles.

Victor, dessinateur d’une soixantaine d’années, a perdu l’inspiration et également l’affection de sa femme Marianne qui le renvoie du domicile conjugal. Il est invité à participer à une expérience inédite qui lui permet de recréer une période de son passé dans un studio de télévision avec des comédiens professionnels. Il choisit de revivre quelques jours de mai 1974 où il a rencontré l’amour de sa vie…

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, La Belle époque n’a strictement aucun rapport avec la période du même nom, se situant entre la fin du XIXème siècle et le début de la Première Guerre Mondiale. Néanmoins il y est fortement question de nostalgie. Car, tout comme dans Monsieur et Madame Adelman, Nicolas Bedos se penche avec une générosité rare dans le cinéma français sur les états d’âme de sexagénaires, qu’on n’ose plus appeler aujourd’hui des personnes âgées, tant l’espérance de vie s’est allongée de manière générale.  Des sexagénaires qui se penchent sur leur passé, dans le cadre d’un dispositif de recréation cinématographique et de jeu de rôles qui s’apparenterait presque à de la téléréalité si tout cela passait sur un écran de télévision.

Car en offrant à Victor l’occasion de revivre sa jeunesse, Antoine, le brillant entrepreneur, lui prête dans une certaine mesure sa compagne comédienne, Margot qui va donc jouer le rôle de Marianne à vingt ans. Victor va se prendre au jeu et tomber tête baissée dans le trompe-l’oeil de ses illusions. Alors, certes, du côté mise en scène, Nicolas Bedos filme essentiellement à l’énergie, un peu à l’emporte-pièce et ne possède pas encore de style cinématographique personnel. Il n’en demeure pas moins qu’il possède des thématiques qui deviennent assez facilement reconnaissables. Par rapport à son premier film, il les a même enrichies d’un dispositif très original, complètement inédit dans le cinéma français, un peu comme si la nostalgie allenienne de Minuit à Paris s’accompagnait d’un arrière-plan à la Truman Show. Sa prise de risques s’avère plus que payante, même si parfois les recréations de journées basculent dans certains clichés. Bedos parvient à rendre palpable le côté précieux du temps qui s’enfuit, des souvenirs qui s’évaporent s’ils ne sont pas ressuscités et le jeu très pirandellien de mise en abîme, clin d’œil aux émissions de télé-réalité. La vie n’est qu’une représentation où les acteurs rejouent la vraie vie, comme une répétition sans fin, assez proche du film de Harold Ramis. Lorsque la scène fondatrice est ainsi rejouée à la fin, il est difficile de ne pas s’apercevoir qu’un très joli moment de cinéma, quasiment buñuelien, nous fait réfléchir sur l’écart entre fiction et réalité et la propension à vouloir recommencer sa vie.

Afin de parvenir à ce résultat réjouissant et mélancolique à la fois, Nicolas Bedos a pu compter sur un quatuor d’acteurs exceptionnels : Daniel Auteuil retrouvant enfin un grand rôle, Fanny Ardant qui n’a plus été aussi émouvante depuis très longtemps, Guillaume Canet, efficace, en substitut du metteur en scène, « control freak » jaloux, et surtout Doria Tillier, dans un double ou triple rôle, qui crève l’écran et révèle des potentialités et des subtilités de jeu inattendues. Ce qui fait que le film s’échappe progressivement du registre de la comédie balisée pour devenir, en s’appuyant sur « J’ai dix ans » d’Alain Souchon et « (There’s) always something there to remind me  » de Dionne Warwick, un film assez émouvant sur les regrets et les sentiments en fuite.