Jumbo : l’amour impossible

Disponible en VOD ainsi qu'en DVD chez Rezo Films. Pas d'édition Blu-Ray malheureusement.

Face à l’incompréhension de sa mère, Jeanne s’emporte : « Et si c’était à vous d’ouvrir les yeux ». La jeune femme est amoureuse, plus qu’elle ne l’a jamais été, malgré tout la nouvelle ne parvient pas à ravir sa mère : l’objet de son amour déboussole. Premier long-métrage de la réalisatrice belge Zoé Wittock, Jumbo est une œuvre enthousiasmante, pleine de sensibilité et de fantaisie. Une manière douce et originale d’aborder le rare sujet de l’objectophilie.

Timide et réservée, Jeanne est l’antithèse de sa mère, franche et ouverte. Alors que la première fuit les relations, la seconde ne demande qu’à exister aux yeux des autres. Une différence qui ne les empêche pas d’avoir une relation fusionnelle. Gardienne de nuit dans un parc d’attractions, Jeanne est particulièrement attachée à cet univers de lumières et de sons. Ici, elle se sent heureuse, épanouie. Un beau jour, un sentiment nouveau s’immisce en elle au contact du manège-phare de la fête, une attraction perturbante et inattendue s’engouffre dans son esprit : Jumbo, plus communément appelé « Move it », apparaît dans sa vie.

Flottant entre le drame et le fantastique, le récit de Zoé Wittock préfère l’émotion à la raison. Laissant au passé son mystère, le film fait d’une certaine manière de l’absence du père (et mari) le point zéro du récit. La reconstruction semble douloureuse : alors que Margarette (Emmanuelle Bercot un peu trop survoltée), comble un vide en cumulant les relations, Jeanne est quant à elle en peine face aux hommes. C’est ici que brille Jumbo : dans la latitude accordée au spectateur vis-à-vis de la lecture des personnages et des événements. Plus qu’un passé évanoui, c’est aussi et surtout une histoire de différences. Bien que ne l’invoquant pas directement, l’œuvre s’attarde sur l’objectophilie, une attraction romantique (et parfois sexuelle) envers des objets. Le récit est par ailleurs tiré d’une histoire vraie, celle d’une américaine mariée avec la Tour Eiffel. Un désir étrange qui dessine dans nos esprits le portrait d’une personne irrationnelle. Et c’est justement ce qui intéresse Zoé Wittock, le fait de briser cette image en rendant compte des émotions de Jeanne, en explorant ses ressentis et fantasmes. Son amour ne fait souffrir que notre raison : une raison, justement, suffisante pour ne pas le tolérer ?

Jumbo est une œuvre enthousiasmante, pleine de sensibilité et de fantaisie. Une manière douce et originale d’aborder le rare sujet de l’objectophilie.

A l’image, on n’est pas loin de Rencontres du troisième type de Steven Spielberg. Entre les illuminations de Jumbo, sa géographie incertaine et sa bourgade à l’américaine, l’œuvre cultive un univers visuel propice aux mystères. Le manège, stratégiquement filmé, ressemble tantôt à un vaisseau venu d’ailleurs, tantôt à la main d’un King Kong mécanique. Dans les deux cas, Jeanne, incarnée par une touchante Noémie Merlant, s’évade de ses craintes. Le film restitue parfaitement les stimuli sensoriels provoqués par l’attraction, à la fois magique et inquiétante. On est comme happé par les couleurs, les mouvements et la douce nostalgie qui se dégage de ce petit monde. La bande originale de Thomas Roussel, légère et atmosphérique, contribue à la réussite de cette ambiance. Dommage, toutefois, que le film n’aille pas plus loin dans son registre fantastique, les magnifiques envolées oniriques souffrant d’une trop grande timidité. Le voyage semble quelque part inachevé.

Jumbo annonce l’arrivée d’une cinéaste à suivre. Si toutes les ampoules ne brillent pas toujours comme on l’aurait souhaité dans cette première attraction de Zoé Wittock, notamment en termes d’écriture, l’essentiel n’en reste pas moins une originale et touchante plongée au cœur d’un amour d’un autre type. Pas encore totalement maîtrisé, mais assurément prometteur.