Julie (en douze chapitres) : entre l’Ancien et le Nouveau Monde

Joachim Trier, cinéaste norvégien, à ne surtout pas confondre avec son presque homonyme danois Lars Von Trier, pourrait être considéré comme un cinéaste à éclipses. Après Nouvelle donne, premier film sans doute à redécouvrir, il s’est surtout fait connaître pour son deuxième film, Oslo 31 août, déambulation mélancolique, suicidaire et bouleversante, avec son acteur fétiche Anders Danielsen Lie. Depuis, Back home, avec une distribution internationale, (Isabelle Huppert, Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg), retenu en compétition à Cannes en 2015, oeuvre nostalgique sur la famille, est passé bien plus inaperçu. Enfin, Thelma, film de genre sur l’homosexualité féminine, l’a fait revenir dans les bonnes grâces de la critique. Par conséquent, à quel Joachim Trier, cinéaste assez imprévisible, pouvions-nous donc avoir affaire avec Julie (en douze chapitres), son cinquième et nouveau film?

Julie a hésité entre plusieurs voies professionnelles, la médecine, la psychologie, la photographie, avant de…travailler dans une librairie. A presque trente ans, elle partage sa vie avec un auteur célèbre de bandes dessinées plus âgé. Mais une rencontre en soirée va bouleverser l’ordonnancement de son existence…

Prise entre Charybde et Scylla, entre deux mondes qui ne sauraient cohabiter, Julie représente le symbole de notre identité contradictoire, se raccrochant à un monde défunt et ne sachant s’adapter à un nouveau. C’est en cela que Julie (en douze chapitres), en dépit de sa forme faussement modeste de marivaudage léger et divertissant, est un film essentiel et formidablement contemporain.

Avec Julie (en douze chapitres), Joachim Trier dresse le portrait entre impressionnisme et cubisme d’une jeune femme d’aujourd’hui, instable et imprévisible, attachante et agaçante, chaleureuse et égocentrique. La structure fractionnée en douze chapitres pourrait évoquer les oeuvres de Lars Von Trier, coutumières du fait, (Breaking the waves, Dogville, Nymphomaniac) mais elle renvoie davantage au Woody Allen d’Hannah et ses soeurs, chaque titre de chapitre créant un suspense minimal et ironique par rapport à son contenu. Un chapitre ressemble même très fortement à Annie Hall, oeuvre maîtresse du cinéaste juif new-yorkais. Comme le montre l’éblouissant prologue en mode accéléré, Julie, radieuse jeune femme en apparence, ne sait pas trop ce qu’elle veut, que ce soit dans sa vie professionnelle ou sa vie sentimentale, ressemblant à bien des jeunes gens d’aujourd’hui, d’hier ou de demain. Grâce à son style percutant, électrique et imprévisible, Joachim Trier se permet quasiment tout et réussit les scènes les plus improbables : une très belle séquence où Julie vit son amour interdit alors que le temps s’est arrêté pour tous les autres sur la planète ; une autre de consommation de drogue qui la fait vivre un rêve lynchien assez révélateur de son état d’esprit inconscient. Julie (en douze chapitres) est souvent hilarant, comme portrait d’une génération déboussolée, égarée entre réseaux sociaux et retour à une vie écologique a priori plus saine. S’il n’était que cela (et ce serait déjà beaucoup), le film peut déjà être considéré comme une des plus grandes réussites de son auteur.

Mais Julie (en douze chapitres) n’est pas que cela, loin de là. Mine de rien, il radiographie notre société contemporaine, comme peu de films l’ont fait. C’est l’un des rares films où l’on se sente de plain-pied avec les thématiques d’aujourd’hui, considérées avec une ironie joyeuse, une distance ravageuse du point de vue d’un artiste. On pourrait croire que le motif dramaturgique de ce film réside dans une simple hésitation entre deux hommes. Or sans que cela soit le moins du monde appuyé, Aksel et Eivind représentent deux états du monde, l’un appartenant à la génération d’avant, celle des gens de 45 ans, légèrement sexiste et dominatrice, l’autre à celle d’après, écologique et a priori paritaire, sans que ces personnages ne perdent leur humanité ni ne versent dans la caricature. Or le monde d’avant meurt symboliquement à travers Aksel tandis que le monde d’après fuit Julie. Prise entre Charybde et Scylla, entre deux mondes qui ne sauraient cohabiter, Julie représente le symbole de notre identité contradictoire, se raccrochant à un monde défunt et ne sachant s’adapter à un nouveau. C’est en cela que Julie (en douze chapitres), en dépit de sa forme faussement modeste de marivaudage léger et divertissant, est un film essentiel et formidablement contemporain.

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RÉALISATEUR : Joachim Trier 
NATIONALITÉ : norvégienne
AVEC : Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum
GENRE : Drame
DURÉE : 2h01 
DISTRIBUTEUR : Memento Distribution 
SORTIE LE 13 octobre 2021