En même temps : la politique collée serrée

« C’est honteux, c’est la honte » répète Vincent Macaigne dans sa petite voiture électrique dans En même temps du duo grolandais Kervern et Delépine. Dans le petit habitacle, deux maires l’un sur l’autre, reliés non pas par des idées communes, mais une colle ultra adhésive. Une cohabitation à marche forcée où les deux élus, de bords différents, doivent trouver un moyen de rompre le mauvais sort. Une joyeuse cavale où s’entrechoquent deux brûlants sujets de société : l’écologie et le féminisme. Le duo profite de cette loufoquerie pour questionner, avec un peu de bienveillance, la figure du politicien. Un buddy movie politique mi-figue, mi-raisin.

Pour le maire de droite Didier Béquet (Jonathan Cohen), l’affaire est pliée : l’impératif économique passe avant le reste. Le parc de loisirs doit voir le jour, quitte à faire disparaître une forêt primaire. Pour concrétiser ce projet, il doit rallier à sa cause son principal opposant, Pascal Monitor (Vincent Macaigne), un maire écologiste tourmenté. Malheureusement pour Béquet, la tentative de corruption vire au cauchemar : après des péripéties libidineuses dans un bar à hôtesses, il se retrouve collé à son confrère. Une bénédiction pour Sandra (India Hair), membre d’un groupe de jeunes activistes féministes, qui a pu coller deux politiciens pour le prix d’un. La veille du vote pour le projet, Béquet et Monitor se retrouvent coincés ensemble avec leurs convictions et leurs histoires d’amour.

Comme ses personnages, le film souffre lui-même de faire du en même temps. D’un côté la satire drolatique, de l’autre un militantisme certainement sincère, mais contraint.

Avec la sortie d’En même temps le 6 avril 2022, la réalité se frotte à la fiction : comme dans le film, la France est à la veille d’un vote majeur. Dans le film de Kervern et Delépine, le choix est un chemin de croix intellectuel et émotionnel. Bien que les deux élus ne partagent, de prime à bord, aucune conviction, ils doivent faire front commun. Face à eux, des administrés curieux, déçus, énervés, engagés. Le duo poursuit son travail d’exploration de la société en s’attardant cette fois-ci sur la contradiction entre plusieurs mondes. Sous le trait habituel de la comédie et du décalage, le film s’amuse du fossé qui sépare les intentions de la réalité et confronte l’individualisme au collectif. Une manière de renouveler un thème déjà abordé dans Effacer l’historique, un film où l’ubérisation apparaît comme un paradoxe, le monde étant aussi connecté que solitaire. Dans le cas d’En même temps, les convictions des uns et des autres rendent l’exercice du pouvoir presque schizophrénique : soit, comme le maire Monitor, on agit en accord avec sa pensée dans l’indifférence générale, soit on apparaît clientéliste comme Béquet, au risque de perdre son intégrité. En collant ces deux facettes, on entre dans cette zone grise du en même temps. Agir et plaire tout en limitant la casse : un véritable jeu d’acrobate. Dans une société où l’on pense tout et son contraire, le retour du bâton paraît inévitable.

Comme ses personnages, le film souffre lui-même de faire du en même temps. D’un côté la satire drolatique, de l’autre un militantisme certainement sincère, mais contraint. Le malléable Béquet, opportuniste, n’oppose finalement qu’une brève opposition à sa condition. Si quelques scènes permettent de creuser un peu les personnages, le concept semble l’emporter sur le fond. La recette est désormais connue et bien que le duo parvienne toujours à trouver de nouveaux angles d’attaque, la fable manque de force et d’inspiration. On a connu le duo plus impertinent, plus énergique et surtout moins démagogue. La conclusion apparaît comme un aveu d’échec de ce en même temps moqué dans le film : sous des airs contestataires et artistiques, En même temps verse quelques minutes dans un militantisme de vitrine. La plaisanterie trouve étrangement une limite. Heureusement, l’essentiel est quelque part ailleurs : il est dans cet hilarant restaurateur à la voix fluette incarné par François Damiens, dans les mots absurdes de ce vétérinaire joué par Thomas VDB, dans la douce folie de Yolande Moreau, mais aussi dans l’émotion incontrôlable de Gustave Kervern, malmené par un maire décapant. En somme, une petite comédie sur les vices de la politique, pour le meilleur comme pour le pire.

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RÉALISATEUR : Gustave Kervern, Benoît Delépine
NATIONALITÉ : français
AVEC : Vincent Macaigne, Jonathan Cohen, India Hair
GENRE : comédie
DURÉE : 1h46
DISTRIBUTEUR : Ad Vitam
SORTIE LE 6 avril 2022