Elvis : Il était une fois la légende

N’y a-t-il pas un genre aussi galvaudé que le biopic ? Essoré jusqu’à la moelle par Hollywood, dont l’avidité n’a d’égal que son appétence à exploiter ses figures passées (et bien souvent détruites par cette même industrie), ce sous-genre s’est vu, en quelques années, gangréné par un classicisme maladif, une aseptisation répugnante ou encore un manque d’idées flagrant. Bohemian RhapsodyLe Blues de Ma RaineyRespectJudyLa Méthode WilliamsGet On UpDans les Yeux de Tammy FayeLe discours d’un roi, Green Book… On pourrait continuer encore longtemps à citer le nombre de films sans intérêt, estampillés « inspiré de faits réels », que nous impose Hollywood dans nos salles de cinéma. Mais, de manière ponctuelle, certains films arrivent comme des exceptions, comme des petites pépites souvent mal-aimées : c’est le cas d’Elvis de Baz Luhrman.

Le Baz Luhrmann de Moulin Rouge semble enfin de retour, et avec lui ce souffle romantico-tragique si particulier.

A la différence de tous les films cités au-dessus, Elvis est traversé de plusieurs élans scénaristiques et fulgurances de mise en scène, qui porte le film à un niveau que ces derniers n’espéraient même pas atteindre. Le cinéaste prend ainsi le parti de raconter le chanteur, non pas en se concentrant uniquement sur lui, mais en racontant son manager-escroc, le Colonel Tom Parker, interprété par Tom Hanks. Plus encore, le film ne s’ouvre pas sur la naissance ou l’enfance d’Elvis, mais sur celle de Parker, rapidement abordée. On découvre le jeune chanteur en même temps que le Colonel, d’abord via de rapides bruits de couloir puis de nos yeux, ses yeux, en train d’enflammer la scène de sa gestuelle et de son charisme. C’est à travers son regard intéressé, annonciateur de futures combines manipulatrices, que l’on voit ce qu’il voit en lui, à savoir un moyen de se blanchir et d’amasser de grosses sommes. Il nous est donc présenté d’abord via les yeux cupides de cet homme qui, tout du long du film, narrera l’envol et la chute, les succès et les déboires de la star. Ainsi, chacun se construit et évolue en fonction de l’autre, comme deux pièces indissociables au lien insaisissable.

C’est finalement ce qu’il y a de plus intéressant : observer ces deux titans, ces deux dieux, l’un de la musique et l’autre du vice, évoluer côte à côte, et s’affronter frontalement ou non, alors que tous s’effondrent autour d’eux. Souvent, le film prend des airs de tragédie grecque, nous donnant à voir des figures d’orgueil  et d’honneur se fissurer et s’effriter, avant de tomber en ruine.

Autre grande qualité du film : le Baz Luhrmann de Moulin Rouge semble enfin de retour, et avec lui ce souffle romantico-tragique si particulier. Bien que n’atteignant pas le niveau de ce dernier, son chef-d’œuvre, Elvis témoigne du retour de la flamboyance de son auteur, et de son amour pour le dramatique. A l’instar de Romeo + Juliette ou Moulin RougeElvis est annoncé dès ses premiers instants comme une histoire éminemment tragique, dont on connaît tous et toutes le dénouement. Dès lors, ce sont des personnages terriblement tristes, occupés à se battre contre le destin, qui apparaissent devant nous.

De plus, Baz Luhrmann opère ici un formidable travail de réhabilitation, en tenant à rappeler que sans musique noire, sans culture afro-américaine, il n’y aurait jamais eu d’Elvis tel qu’on le connaît. Ainsi, il redonne à B.B. King ou encore Big Mama Thornton la place qui a toujours été la leur mais que l’histoire n’a eu de cesse d’oublier : c’était eux, les influences majeures d’Elvis, eux qui ont fait naître son talent et son amour de l’art. Le film se veut donc comme marqué profondément par le contexte de l’époque. De la dichotomie raciste entre le Sud et le Nord à l’assassinat de Martin Luther King en passant par les sonorités soul/jazz qui parsèment la bande originale, la culture afro-américaine est partout, elle guide Elvis dans ses plus sombres moments et lui rappelle toujours l’essentiel : sans discours, sans rien à porter, les mots que l’on chante se retrouvent rapidement sans intérêt. Ainsi est né un artiste politique, insoumis et révolutionnaire.

Elvis ne plaira peut-être pas à tous (il faut s’habituer à l’allure sur-maquillée des deux personnages, on en convient), il n’en reste pas moins l’une des preuves qu’Hollywood peut encore réussir à faire de belles choses, même dans un genre flétri et usé, grâce à la patte d’auteur à la voix unique. La partition impressionnante d’Austin Butler, la maîtrise de Luhrmann et ses choix musicaux décalés font d’Elvis un film à voir, presque trop sage pour son réalisateur mais définitivement au-dessus de la mêlée.

A bien des égards, Elvis se fait une place de choix au milieu de RocketmanBeing The Ricardos ou encore First Man, dans le club très sélectif des biopics récents ayant véritablement quelque chose à dire sur les célébrités qu’ils mettent en scène.

3.5

RÉALISATEUR :  Baz Luhrmann
NATIONALITÉ : USA
AVEC : Austin Butler, Tom Hanks, Olivia DeJonge
GENRE : Drame, Biopic
DURÉE : 2h39
DISTRIBUTEUR : Warner Bros
SORTIE LE 22 juin 2022