Si le film n’est distribué en France qu’aujourd’hui, il a d’abord été présenté en première mondiale lors du festival de Tokyo en octobre 2022 avant de faire le tour des festivals internationaux et de clôturer le festival du film lesbien, gay, bi, trans, queer et ++++ Chéries-chéris de Paris 2024. En effet, il traite d’une thématique encore délicate pour un pays comme le Japon, celle de l’homosexualité. Le réalisateur avait déjà abordé le sujet en 2010 avec son premier long-métrage intitulé Pyuupiru 2001-2008 dans lequel il compilait les images prises d’un ami homosexuel sur plusieurs années. Constatant que la représentation de l’homosexualité avait peu évolué ces dernières années dans son pays, il a donc ressenti le besoin d’en faire l’objet d’une fiction. A noter qu’il adapte ici un roman semi-autobiographique de l’écrivain Makoto Takayama. Autant dire qu’il rompt avec une certaine tradition puisqu’il ose filmer crûment les scènes de sexualité entre les deux protagonistes, sans jamais tomber, cela s’entend, dans la pornographie.
Kôsuke est un éditeur de mode qui gagne bien sa vie, supervise les shootings, dîne régulièrement avec ses amis en compagnie desquels il fait la fête et mène une vie tout compte fait assez superficielle. Lorsqu’il fait la rencontre de son coach sportif d’à peine 24 ans Ryûta. Entre les deux hommes naît une entente serrée jusqu’à ce qu’ils tombent finalement amoureux l’un de l’autre. Le film confronte ici deux milieux sociaux différents car Ryûta vient d’un milieu pauvre, habitant chez sa mère souffrante et vivant de petits boulots tels que déménageur ou plongeur dans un restaurant. Autant dire qu’il ne ménage pas ses efforts. Kôsuke veut l’aider à s’en sortir même si cela doit mettre son jeune amant dans un état d’infériorité que ce dernier accepte d’abord difficilement. Raison pour laquelle il continue de travailler de son côté pour gagner de l’argent. Kôsuke semble alors prendre conscience de son statut de privilégié, en même temps que sa relation avec Ryûta développe chez lui un certain sens des responsabilités.
La caméra est attentive aux expressions des personnages filmés très souvent de près, décelant à chaque altération du visage leurs sentiments enfouis
Nous sommes bien dans un film japonais et les protagonistes ne cessent de s’excuser avant de parler dans un pays qui a érigé la politesse en véritable art de vivre. Kôsuke tient le rôle difficile de tuteur tant de Ryûta que de la mère de celui-ci et doit à chaque fois longuement disputer son interlocuteur pour qu’il accepte ses cadeaux sans se sentir obligé. La fierté – ou bien, au contraire la modestie – du caractère nippon se reconnaît bien là. La caméra est attentive aux expressions des personnages filmés très souvent de près, décelant à chaque altération du visage leurs sentiments enfouis : tendresse, reconnaissance, gaieté et tristesse, captant chaque regard furtif, chaque geste intime. Le film est traité comme un documentaire : la caméra est perpétuellement en mouvement et suit les personnages dans leurs déplacements. Ce point de vue participe à une normalisation du thème de l’homosexualité dans le film.
Il est remarquable de se rendre compte à quel point chacun des deux protagonistes apporte quelque chose à l’autre qu’il n’a pas : Ryûta comblant le vide de l’existence superficielle menée par Kôsuke, ce dernier faisant profiter Ryûta et sa mère de son aisance financière, deux personnages représentant des extrêmes – d’un point de vue sociologique – finissant par se réunir au sein du sentiment amoureux qu’ils partagent. La deuxième partie du film se fait plus grave, plus sombre aussi, et donne encore plus d’épaisseur au personnage de Kôsuke joué par Ryohei Suzuki qui a d’ailleurs bénéficié pour son rôle des félicitations générales de la critique. L’acteur est d’ailleurs un ami du réalisateur depuis plus de vingt ans et les deux hommes se connaissent donc bien. Au final, Daishi Matsunaga filme le couple formé par les deux personnages comme n’importe quel couple au cinéma et c’est l’amour qui triomphe au-delà de tout le reste. Un amour que Kôsuke, même s’il ne le comprend pas, offre sans s’en rendre compte à Ryûta ainsi qu’à la mère de celui-ci comme à une mère de substitution. Egoist est un film d’amour sans être une romance naïve comme il pourrait le paraître de prime abord. La douleur n’y est point absente et c’est toute la palette des émotions qui est convoquée dans le film.
Note : 4/5
RÉALISATEUR : Daishi Matsunaga
NATIONALITÉ : Japon
GENRE : Drame, romance
AVEC : Ryohei Suzuki, Hio Miyazawa, Yûko Nakamura
DURÉE : 2h
DISTRIBUTEUR : Art House
SORTIE LE 8 octobre 2025