Sa carrière de réalisateur commencée au début des années 2000, Soi Cheang est en quelque sorte l’héritier et le continuateur de ses compatriotes John Woo, Johnnie To et autres Tsui Hark. City of Darkness se veut d’ailleurs un hommage assumé au polar d’action – ou film de mafia – de ses prédécesseurs. C’est dans le Hong Kong des années 1980 – donc avant la rétrocession du pays par les Anglais à la Chine – que nous plonge le film et plus particulièrement au sein de la citadelle de Kowloon où vient s’abriter Chan Lok-Kwan, poursuivi par des membres appartenant à la famille d’un certain M. Big, l’un des nombreux patrons des Triades – ou mafia chinoise – pour avoir dérobé un sac contenant une quantité importante de drogue en dédommagement de faux papiers mal confectionnés qu’il a pourtant payés. C’est en effet à une course-poursuite effrénée que nous assistons à travers les quais d’abord puis au sein même des rues étriquées et par-dessus les toits étagés de Kowloon, Chan se voyant chassé dans un premier temps par les membres de la mafia puis – ceux-ci s’arrêtant à sa limite comme devant une frontière infranchissable – par les défenseurs de la cité et plus particulièrement par un certain Shin. Chasse à l’homme dont l’intensité donne tout de suite son ton au film.
Mais Chan sera bien vite adopté par les habitants de la cité-forteresse et mis sous la protection de Cyclone – chef de la Citadelle et barbier de son état – et de ses sbires. Réfugié orphelin arrivé à Hong-Kong en bateau, Chan voit très vite en Cyclone un père de substitution qui s’occupe de lui, lui procure un toit et un travail. Chan s’intègre facilement à la Cité et aux habitants qu’il y côtoie. C’est que chacun y vit paisiblement dans le respect de son prochain, s’affairant et travaillant sans relâche pour gagner quelque argent nécessaire à sa propre subsistance. Cyclone veille et ses ange-gardiens s’exécutent comme lorsqu’il s’agit de donner une correction à un homme qui se permet de battre les femmes. Histoire que la paix et une bonne ambiance règne au sein de la ville. C’est-à-dire que Seo Chang nous procure une vision quelque peu utopique de Kowloon où règnent – dans la réalité historique – maisons closes, casinos, salons d’opium et de cocaïne à profusion. Car cette partie-là est quelque peu occultée par le film. A peine entraperçoit-on une prostituée y faisant office de personnage secondaire.
Les personnages sont attachants et plutôt bien dessinés […] les scènes d’action sont à couper le souffle
Dès lors, Chan qui ne travaille dur que dans la perspective de gagner suffisamment d’argent pour se payer de faux-papiers et pouvoir résider sans souci à Hong-Kong, finit tellement par s’habituer à Kowloon et à s’y sentir bien qu’il envisage d’y rester vivre. Il s’est en effet fait de nouveaux amis en la personne de Shin mais aussi de VHS – médecin à l’occasion – et de Douzième Maître qui a Tiger pour patron, passant du temps et jouant au Mahjong avec eux. Mais les choses seraient trop simples si elles en restaient là et Seo Chang sait faire rebondir l’intrigue, quand bien même c’est de façon quelque peu artificielle. Car Cyclone perçoit les loyers pour l’un des propriétaires de Kowloon, un certain Chau, qui est en même temps l’un de ses anciens amis. Or, la femme et le fils de ce dernier ont été assassinés dans le temps par un homme appelé Jim. Depuis, Chau a juré de se venger à son tour de Jim par le meurtre de son fils disparu, puisqu’ayant fui Hong-Kong encore bébé dans les bras de sa mère. Or, le fils disparu réapparaît subitement. En effet, il n’est pas loin et il ne suffit que de le chercher. Pour ne pas dévoiler l’intrigue du film, nous n’en dirons pas plus mais les plus perspicaces auront deviné!
Les personnages sont attachants et plutôt bien dessinés, chacun avec sa personnalité et des particularités qui l’individualisent – Douzième Maître et son souci du paraître particulièrement attaché à la composition de sa coiffure, Shin le bras droit du patron qui devra selon toute vraisemblance en recueillir la succession, VHS, l’homme défiguré, Cyclone le patron bienveillant et secrètement malade, Chau assoiffé de vengeance. Mais le véritable personnage et le plus important du film reste la forteresse – édifiée au XIXème siècle – de Kowloon avec son dédale labyrinthique de rues étroites, de bâtiments serrés les uns contre les autres – tellement qu’ils ne laissent qu’à peine filtrer la lumière du soleil – de branchements électriques à nu qui serpentent en hauteur voire à même un sol recouvert et encombré de détritus. Une cité vue avec nostalgie puisque détruite en 1993. Refuge des déshérités de Hong-Kong, espace de non-droit où les habitants sont dans une forme de ce qu’on pourrait appeler l’autogestion, Kowloon est le lieu rêvé où se terrer en attendant de s’inventer une nouvelle vie, mais aussi un lieu à défendre coûte que coûte des ambitions de la mafia qui menace de s’y installer ou des pelleteuses qui laissent présager d’une destruction totale.
A noter enfin que les scènes d’action sont à couper le souffle et font preuve d’inventivité et d’une originalité rarement vue depuis longtemps à ce niveau. Le rythme y est trépidant ne laissant que rarement au spectateur le temps de reprendre son souffle. En somme City of Darkness est un modèle du genre pour ceux qui aiment ça et même pour les autres.
RÉALISATEUR : Soi Cheang NATIONALITÉ : Chine GENRE : Action, Thriller AVEC : Louis Koo, Raymond Lam, Chun-Him Lau, Tony Tsz-Tung Wu DURÉE : 2h05 DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport SORTIE LE 14 Août 2024