Plus de cinquante ans de cinéma, vingt fictions, autant de documentaires, et nous n’évoquons ici que les longs-métrages. L’oeuvre de Werner Herzog apparaît ainsi immense, imprévisible, incontournable. Pour beaucoup, néanmoins, elle semble assez indiscernable, une fois les spectateurs sortis des titres des années 70, devenus des références, sans être forcément vus. Werner Herzog représente ainsi un grand cinéaste assez méconnu, occupant pourtant une place centrale, et dont le nom est immédiatement identifiable, sans que le grand public, hormis les plus cinéphiles, aient vus la plupart de ses films, y compris ses plus connus. Aguirre, la colère de Dieu, son troisième film de fiction, est sans doute son film le plus connu, pour plusieurs raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin. C’est bien évidemment le film-vedette de la mini-rétrospective Les Odyssées de Werner Herzog – La Nature, qui va permettre en cette fin d’année de mieux connaître l’oeuvre assez inépuisable de Werner Herzog.
Au XVIème siècle, une expédition espagnole mandatée par Gonzalo Pizarro part à la recherche de l’Eldorado, pays légendaire, sous les ordres de Pedro de Ursúa. Lope de Aguirre, l’un de ses lieutenants, illuminé et mégalomane, s’oppose à son autorité. Ses actions pour saboter l’expédition se multiplient. L’expédition embarque à bord d’un radeau et descend le fleuve dans l’espoir de trouver la cité d’or.
En raison de sa thématique historique et de son lyrisme épique de film d’aventures, ce film demeure l’oeuvre la plus accessible de Werner Herzog.
Werner Herzog fait partie de cette vague extraordinaire du cinéma allemand des années 70, comparable à celle du néo-réalisme italien des années 40 et 50 ou de la Nouvelle Vague française des années soixante. Fassbinder, Wenders, Herzog donc, puis Schroeter, voire Schlondorff peuvent être cités à ce titre. Pourtant Werner Herzog en faisait partie tout comme il a toujours tenté de s’en démarquer. Contrairement à un Fassbinder, considéré comme le génie prolifique du groupe (plus de quarante films en moins de quinze ans) qui a édifié une sorte d’oeuvre balzacienne de l’Allemagne après la Seconde Guerre Mondiale, Herzog est un cinéaste voyageur et mondialiste, mais d’une manière différente de celle d’un Wenders qui a gardé les mêmes préoccupations d’auteur très européen. Herzog semble traversé par une exigence de cinéaste de l’impossible, filmant sur les sept continents et s’appropriant les différentes cultures.
Aguirre, la colère de Dieu, représente sans doute la meilleure porte d’entrée pour son oeuvre pour de multiples raisons : 1) c’est son premier coup d’éclat, qui l’a fait définitivement connaître à l’international ; 2) c’est la première des cinq collaborations de Werner Herzog avec Klaus Kinski, acteur génial à la moralité plus que douteuse, avant Woyzeck, Nosferatu Fantôme de la nuit, Fitzcarraldo et Cobra verde ; 3) Aguirre a eu une postérité remarquable, inspirant d’autres films se déroulant en pleine nature, des oeuvres-défis qui n’hésitent à remettre en question la notion de mise en scène et de tournage, comme Apocalypse now de Francis Ford Coppola, Mission de Roland Joffé, Le Guerrier silencieux de Nicolas Winding Refn ou plus récemment The Lost City of Z. de James Gray, ou même Mimosas et Sirat d’Oliver Laxe, les montagnes de l’Atlas se substituant au fleuve amazonien.
Pourtant il n’est pas interdit d’apprécier davantage d’autres oeuvres de Werner Herzog, telles que L’Enigme de Kaspar Hauser ou La Ballade de Bruno, où au lieu d’interroger les représentations de l’ivresse du pouvoir, il se penche sur les hommes de condition modeste, les petits, les sans-grade. Il n’en reste pas moins que Aguirre demeure extrêmement marquant, par la splendeur de ses images (ciel, fleuve, forêt) et y compris par des aspects moins connus, par exemple la concision de sa durée (1h31), sa musique discrètement synthétique et avant-gardiste, signée Popol Vuh, collaboration au long cours qui durera jusqu’en 1999, et ses touches d’humour décalé (« les longues flèches deviennent à la mode », « cela a dû être tiré par un nain » ).
A revoir Aguirre dans une version nouvellement restaurée, le film garde toute sa fraîcheur et le réalisme pointilliste et mystique de ses très belles images. En raison de sa thématique historique et de son lyrisme épique de film d’aventures, ce film demeure l’oeuvre la plus accessible de Werner Herzog. Klaus Kinski, en simili-Richard III, donne une figure inoubliable à la soif inextinguible de pouvoir, au vertige de la folie, à la volonté de puissance au sens nietzschéen qui ne connaît plus de limites. Rarement un film aura aussi bien montré que le plus grand ennemi à redouter se trouve en vous-même. D’un point de vue symbolique, on pourrait même interpréter cette histoire pourtant située à une époque éloignée (le XVIème siècle) comme une métaphore de l’abus de pouvoir et de la traîtrise, une parabole du triste destin du nazisme s’emparant du pouvoir et finissant dans la solitude et la mort.
RÉALISATEUR : Werner Herzog
NATIONALITÉ : allemande
GENRE : aventure, action, biopic, drame, historique
AVEC : Klaus Kinski, Helena Rojo, Del Negro, Ruy Guerra, Peter Berling, Cecilia Rivera
DURÉE : 1h31
DISTRIBUTEUR : Potemkine Distribution
RESSORTIE LE 19 novembre 2025


