A la Maison-Blanche : la politique rêvée

La victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines a tout d’une fiction. Mais en ce 20 janvier, elle devient bien réelle et c’est à se demander si on ne préférait pas la fiction. Celle proposée par la série A la Maison-Blanche par exemple : une série politique férocement optimiste (à l’heure où le cynisme est de mise, notamment dans House of Cards) et pétrie de valeurs démocratiques. Dit comme ça, on dirait de la propagande et ce encore plus quand on regarde le générique de la série avec ses images au ralenti et sa musique un peu pompeuse. Heureusement, il n’en est rien et bien au contraire. Tout en véhiculant un message souvent optimiste, A la Maison-Blanche a un regard lucide sur la société américaine. Et si les personnages sont pétris de bonnes intentions, ils doivent sans cesse se heurter à la réalité du terrain.

Créée par Aaron Sorkin en 1999, A la Maison-Blanche est née de toutes les idées que Sorkin n’avait pas pu caser dans la version finale de son scénario du Président et Miss Wade. Qu’importe, il décide de créer une série se déroulant donc dans les coulisses de la Maison-Blanche. Il a raflé suffisamment d’anecdotes pour créer une série sur la durée et a suffisamment d’idées pour mettre tout ça en place. Quoi de plus fascinant en effet que de voir tous les hommes (et toutes les femmes) de l’ombre (chef de cabinet, directeur de la communication) qui s’affairent autour de la figure publique qu’est le président de la première puissance mondiale ? Plonger dans les coulisses de la Maison-Blanche, c’est s’offrir un panorama de tout ce qui fait l’Amérique, de toutes ses belles choses mais aussi tous ses problèmes qui ne cessent de tomber et ce à longueur de journée. Car les États-Unis est un grand pays qui fonctionne sur plusieurs fuseaux horaires. Résultat : quand tout le monde dort à Washington, une émeute raciale peut se produire à Los Angeles. Il faut donc être passionné pour travailler en politique : on dort peu, on a du mal à se trouver une relation stable et les plannings débordent tout le temps. La série nous présente donc ces coulisses avec une galerie de personnages hauts en couleur.

Tout d’abord, il y a le président. Jed Bartlet que l’on suivra durant ses deux mandats. Sachant que la série dure sept saisons et que la saison 1 débute alors que Bartlet est déjà élu, il faut saluer la durée de vie que la série a eu, s’alignant parfaitement sur le temps que les personnages passent à la Maison-Blanche, une saison correspondant à peu près à une année. Une longévité pas forcément prévue au départ mais qui a su profiter à la série, celle-ci rencontrant chaque année un vif succès, auréolée de 26 Emmy Awards au fil des ans. Un succès quasi-impératif car A la Maison-Blanche avait un gros budget : 6 millions de dollars par épisode. L’équivalent du budget de chaque épisode de la première saison de Game of Thrones. Car oui, tourner à Washington coûte cher, recréer les intérieurs de la Maison-Blanche coûte cher et le casting (une dizaine de personnages principaux, au moins autant de secondaires) coûte cher.

Le succès a donc permis à Bartlet de faire deux mandats et c’est Martin Sheen qui se glisse dans la peau du Président Bartlet, choix judicieux puisque l’acteur est parfait pour le rôle, inspirant la confiance : on lui donnerait presque le bon Dieu sans confession même s’il avait interprété un vrai salaud de candidat à la présidentielle dans le Dead Zone de Cronenberg. A noter cependant que la série, assez visionnaire sur certains points (le président élu à la fin de la série en 2006 est le premier président latino-américain soit deux ans avant l’élection d’Obama, premier président afro-américain) avait carrément proposé à Sidney Poitier (premier acteur afro-américain à recevoir l’Oscar du Meilleur Acteur) le rôle de Barlet et ce dès 1999 ! Autour de Martin Sheen (initialement prévu pour apparaître dans quatre épisodes, le président devant avoir un rôle très secondaire) évoluent des acteurs qui auront bien du mal à retrouver un rôle aussi fort que dans la série (Bradley Whitford, Richard Schiff, Allison Janney) et qui donnent vie à une galerie de personnages attachants.

La série, dotée de 7 saisons et de 155 épisodes, est tout – brillante, drôle, intelligente, émouvante – sauf ennuyeuse.

Car la grande force de la série repose sur deux choses. D’abord ses personnages. Des gens pétris de bonne volonté et qui veulent profiter d’un mandat démocrate pour améliorer le système tout en se heurtant sans cesse à la réalité du terrain politique. On ne change pas les choses comme ça. Tout en étant bien intentionnés et en donnant l’impression d’une ambiance de travail amicale (c’est tout juste si la série ne donne pas envie de se lancer en politique !), ces personnages ne sont pas exempts de défauts : Josh Lyman est un obsessionnel du travail, Toby Ziegler un homme égocentrique et triste, C.J. Cregg n’arrive pas à ouvrir son cœur à un homme qui l’aime ouvertement, Leo McGarry est un ancien alcoolique et même Bartlet cache au public une sclérose en plaques. Des personnages humains donc, avec leurs contradictions et leurs faiblesses. Des personnages touchants auxquels on s’attachera et dont les problèmes professionnels et personnels nous parleront. Des personnages qui partiront en cours de route pour nous laisser larmoyants notamment l’acteur John Spencer, décédé d’une crise cardiaque durant le tournage de la saison 7, forçant les scénaristes à faire mourir Leo, son personnage. Ironiquement, ces mêmes scénaristes avaient déjà fait subir une crise cardiaque au personnage en début de saison 6, loin de se douter de la tournure prophétique de certains de leurs écrits (« la seule façon de me quitter, c’est de refaire une crise cardiaque » dira Matt Santos à Leo quand celui-ci songe à laisser tomber sa candidature de vice-président pour Santos).

Si l’on retient surtout la série pour ses personnages (les répliques de Sorkin ayant contribué à leur gloire), on doit également saluer sa vive intelligence et son rythme soutenu que l’on doit à Sorkin qui a assuré pendant 4 saisons de 22 épisodes l’écriture de la quasi-totalité des épisodes. Son départ en tant que showrunner et scénariste principal se fera d’ailleurs ressentir durant la cinquième saison, clairement la moins bonne de la série, répétitive et peinant à se renouveler avant les saisons 6 et 7 qui bénéficient de nouveaux personnages et donc d’une nouvelle dynamique. Les scénaristes succédant à Sorkin sauront tout de même retrouver le ton du maestro (il faut dire que la plupart des personnages étaient déjà créés et avaient déjà trouvé leurs voix) pour continuer d’imposer à la série ses dialogues brillants et surtout ses points de vue politiques ouvertement démocratiques. N’y voyons pourtant aucune démagogie. Si elle est pro-démocrate, elle ne montre pas les républicains comme des salauds. En témoigne les personnages de Ainsley Hayes et Arnold Vinick, républicains jusqu’au bout des ongles mais foncièrement intelligents avec de vrais valeurs humaines. Car au-delà de promouvoir la démocratie, il s’agit d’aborder des problèmes qui sont encore d’actualité sans jamais occulter la dure réalité du monde. On pourra alors remarquer qu’en sept ans, A la Maison-Blanche a quasiment fait le tour de tous les sujets possibles et imaginables : le racisme, la peine de mort, le port d’armes, la politique étrangère, le problème de la Corée du Nord, le conflit israélo-palestinien, le mariage gay, l’éducation, la santé, la sécurité intérieure, le deuil, l’immigration, la conquête spatiale, les catastrophes naturelles mais aussi l’assassinat politique (pratiqué par Bartlet en cours de série) et bien évidemment le terrorisme sous toutes ses formes. Les attentats du 11 septembre ont d’ailleurs poussé Sorkin à écrire un épisode spécial et  »hors-série » où les personnages parlent de terrorisme en clamant qu’il ne vaincra jamais.

Ces thèmes, entrecoupés par des élections passionnantes (surtout en saison 7, la plus dense de la série) et des problèmes personnels, ne sont cependant pas assénés avec lourdeur. Car il y a de la place pour l’humour dans la série. De l’humour vif, brillant et qui donne toujours naissance à quelques rires salvateurs. Que ce soit dans la façon dont C.J. répond aux journalistes, dans la maladresse de Sam et de Josh, dans les échanges piquants entre Josh et Donna (personnage qui resta tout au long de la série grâce à l’alchimie que Janel Moloney avait avec Bradley Whitford) ou encore dans le cynisme de Toby, il y a toujours un moment pour se détendre au long des épisodes. Car ces personnages ne sont pas des machines, ils sont humains, ils commettent des erreurs, font des gaffes, boivent de l’alcool et sont aussi nuls en relations humaines qu’ils sont doués en politique.

Au-delà de la multitude de ses thèmes, on retiendra de la série ses personnages enthousiastes et attachants, interprétés par un casting de rêve que l’on aimerait voir plus souvent à l’écran.

A la Maison-Blanche est donc une série profondément humaniste, complète par ses thématiques, attachante par ses personnages et rythmée par sa réalisation (les fameux walk and talk mis au point par le réalisateur Thomas Schlamme). Un combo qui ne laissera personne indifférent en dépit de certains défauts : quelques moments répétitifs et surtout une fâcheuse habitude à lâcher des personnages en cours de route. Une habitude prise dès la première saison avec le personnage de Mandy (Moira Kelly), ex de Josh dont les scénaristes n’ont visiblement pas su quoi faire. Elle disparaît donc dès le début de la deuxième saison sans aucune explication. Il en sera de même pour Ainsley Hayes, disparue sans explication après plusieurs saisons et surtout pour Sam Seaborn, l’un des pivots des trois premières saisons incarné par Rob Lowe. A cause d’un désaccord sur les salaires, Lowe quitte alors la série durant la quatrième saison même si les scénaristes ont tâché de trouver une justification à cette absence qui serait devenue trop visible si on avait essayé de la faire passer inaperçue. Remplacé par un nouveau personnage qui mettra également du temps à trouver sa place (Will Bailey, incarné par le très malicieux Joshua Malina), Sam Seaborn manquera cependant à la série mais Lowe reprendra le rôle dans la saison 7 le temps de deux épisodes.

Trop vaste et parfois sans fil rouge, il faut bien reconnaître qu’on peut facilement se perdre dans A la Maison-Blanche. C’est pour cela qu’il faut bien souligner la qualité de l’interprétation de l’ensemble du casting qui aura su jongler avec les mots de Sorkin pour leur donner vie. Ces personnages sont souvent, au milieu du charabia politique, notre bouée de sauvetage. C’est avant tout pour eux que l’on regarde la série. A ce titre-là, A la Maison-Blanche aura fait preuve d’une force de casting à toute épreuve. Outre le casting principal, on y croise la très classe Stockard Channing en Première Dame, l’inénarrable Ron Silver en stratège en communication, la piquante Mary-Louise Parker en conseillère politique, le désabusé Oliver Platt en avocat, la pimpante Kristin Chenoweth mais aussi Mary McCormack, Jimmy Smits, Alan Alda, Emily Procter et même Elisabeth Moss qui incarne l’une des filles de Bartlet.

Un casting de seconds rôles qui n’est presque rien quand on voit le nombre de guests que la série a attiré dans son giron le temps de plusieurs épisodes ou même d’un seul : Karl Malden, Lisa Edelstein, Jorja Fox, Edward James Olmos, Evan Handler, Ian McShane, Nick Offerman, Mark Harmon, Hal Holbrook, Laura Dern, Christian Slater, William Fichtner, Glenn Close, John Goodman, James Cromwell, Christopher Lloyd, Terry O’Quinn, J.K. Simmons, Amy Adams, Evan Rachel Wood, Dean Norris, Felicity Huffman, Matthew Perry, Lance Reddick et David Proval pour ne citer qu’eux.

155 épisodes de 42 minutes, c’est long, parfois même épuisant. Mais le fait est que l’on n’a pas trouvé série politique aussi forte et aussi positive que celle-ci, nous faisant vivre au rythme d’un pays où chaque décision à prendre a l’air d’un vrai chemin de croix. 155 épisodes de 42 minutes, c’est le temps que l’on aura eu pour s’attacher à Bartlet, à C.J., à Toby, à Josh, à Donna, à Charlie, à partager leurs joies et leur désarroi face aux problèmes de leur pays. 155 épisodes de 42 minutes qui donnent l’impression de tout partager avec eux si bien que lorsque vient la fin de la série, il nous faudra énormément de temps pour faire le deuil. L’Amérique, elle, va connaître une nouvelle ère. A la fin de la série, quand Abbey Bartlet demande à son mari à quoi il pense, celui-ci répond  »à demain ». Pas sûr que les lendemains de l’Amérique de Trump soient aussi joyeux et aussi optimistes que ceux de Jed Bartlet et de Matt Santos. Oui, parfois la fiction est nettement meilleure que la réalité…