Dans le « monde d’après », faire le premier pas vers un avenir plus responsable : telle était l’ambition du Festival de Cannes en cette année 2021, avec, entre autres dispositions, l’ouverture d’une sélection non compétitive de longs-métrages gravitant autour de la question du climat. Au sein de cette sélection, Flore Vasseur proposait avec Bigger Than Us un film très attendu, réalisé avec des jeunes activistes du monde entier et produit avec le soutien de Marion Cotillard. Cependant, loin de traduire une action radicale du Festival en faveur de l’environnement, Bigger Than Us s’inscrit malgré lui dans la continuité d’une forme de charité bien cannoise, permettant à l’industrie de se racheter une bonne conscience politique à grands renforts de documentaires dépolitisés, consensuels et inoffensifs. Une déception pour l’un des représentants les plus guettés de cette nouvelle sélection, dont le peu de portée politique perd encore plus d’impact pour sa sortie en salles, trois mois après la fin du Festival.
Melati, jeune indonésienne, mène depuis ses 11 ans un combat dantesque contre la pollution au plastique qui ravage l’île de Bali. Aujourd’hui, elle a 18 ans passés, et appartient à une génération d’activistes engagés depuis leur enfance dans des combats qui les dépassent en vue d’une vie meilleure. Après des premiers succès dans ses efforts pour faire évoluer la gestion des déchets sur son île de naissance, Melati part à la recherche de jeunes activistes qui, comme elle, ont dédié leur courte vie à des combats plus grands que nature. Du Liban aux États-Unis en passant par l’Ouganda et le Malawi, c’est ainsi l’esprit d’une génération qu’elle entend saisir en comparant les combats de chacun.
Sacrifiant tous les enjeux que revêtent les luttes politiques locales pour les faire rentrer dans un récit global aussi artificiel qu’inoffensif, Bigger Than Us parvient avec une habileté regrettable à dépolitiser totalement son propos, transformant des combats politiques divers et vitaux en de simple vecteurs d’accomplissement de soi pour une jeunesse en mal de vivre, de Stockholm à Bali.
Dès ses premiers plans, le film frappe à la fois par son caractère profondément générique et convenu ainsi que par des partis pris de mise en scène très visibles, immédiatement dommageables à l’ambition documentaire de la réalisatrice. S’ouvrant sur le récit très écrit et romancé des premières années de lutte de Melati, le film continue en se construisant comme une espèce de compte-rendu de voyage dont le récit est fait par la jeune activiste. Un procédé qui ancre tout de suite le film dans le faux, l’artificiel et l’attendu, tout comme les nombreux plans d’ensemble obligés sur des paysages urbains, décharges et autres images d’Épinal du documentaire écologique. Contre toute attente, le film passe ensuite cependant la deuxième vitesse, faisant l’esquisse d’un discours politique en cédant le micro et la caméra directement à des jeunes activistes du monde entier. Dans le portrait de chacun de ces jeunes engagés, le film trouve sa seule richesse : des propos situés, lourds de l’expérience de chacun et chacune, riches de sens de par leur capacité d’analyse et la conscience claire des responsables de crises politiques aiguës. C’est dans ces moments que le film se rapproche le plus, par l’intermédiaire des voix qu’il utilise, d’un film politique : c’est dans ces dialogues et argumentaires qu’apparaissent des notions clés comme le racisme environnemental, le patriarcat – des réalités qui ont par ailleurs beaucoup de mal à être nommées dans le reste du long-métrage. En laissant le micro à ces sept jeunes du monde entier, Bigger Than Us a ainsi au moins le mérite de s’éloigner timidement d’une tradition dommageable du documentaire et de l’activisme politique occidental, dans laquelle les discours et les regards émanant de blancs évincent les discours non-blancs.
Mais si Bigger Than Us évite de justesse certains biais idéologiques déjà bien connus, il ne résiste pas pour autant à la tentation d’un récit totalisant et individualisant qui désamorce les discours politiques du film pour les réduire à un simple propos motivationnel. En effet, Flore Vasseur et la figure de proue de son film, Melati Winsej, finissent par tisser ensemble des récits de luttes en les reliant dans un récit global frappant d’inoffensivité, d’autant moins convainquant qu’il brouille chacun des combats qu’il représente en n’en faisant qu’un résumé aussi sommaire qu’anhistorique. Exit la critique de l’état militaire brésilien par Rene, exit l’analyse du racisme environnemental par Xiuhtezcatl, exit la description des violences patriarcales par Memory. En lieu et place d’une analyse politique des causes et des responsables de toutes les violences qu’ont pu vivre les personnes filmées par la caméra, les réalisatrices choisissent au contraire de faire culminer leur film avec un appel à l’engagement de chacun – un engagement dont le mot final est non pas l’action politique, mais la réalisation de soi par l’inscription dans une grande cause. Une fin qui trahit une conception très libérale et délétère de l’engagement politique, tant dans le cinéma que dans le réel : les luttes sont vues moins comme un moyen de libération et d’amélioration de ses conditions de vie que comme une forme de développement personnel à l’attention d’une jeunesse en proie au doute. Un angle de vue éminemment problématique, achevant de saborder le peu de portée politique que les créatrices du film avaient laissé se dessiner au cours de leur récit.
Sacrifiant tous les enjeux que revêtent les luttes politiques locales pour les faire rentrer dans un récit global aussi artificiel qu’inoffensif, Bigger Than Us parvient avec une habileté regrettable à dépolitiser totalement son propos, transformant des combats politiques divers et vitaux en de simple vecteurs d’accomplissement de soi pour une jeunesse en mal de vivre. Bigger Than Us s’avère alors un bien piètre film politique – mais un excellent révélateur, de par sa projection au Festival de Cannes, de toute l’ambition politique dont on peut s’attendre de la part d’un certain versant de l’industrie cinématographique.
RÉALISATEUR : Flore Vasseur NATIONALITÉ : Française AVEC : Melati Wisjen GENRE : Documentaire DURÉE : 1h36 DISTRIBUTEUR : Jour2Fête SORTIE LE 22 septembre 2021