Après La nuit du 12 qui avait reçu une pluie de récompenses, notamment aux César, Dominique Moll nous revient avec un film d’enquête – comme son précédent – dans le milieu de la police. Le réalisateur s’est immergé au sein de l’IGPN de Paris pour documenter son sujet. A l’origine, la plainte déposée par la mère d’un jeune homme frappé en pleine tête dans les ruelles de Paris par un tir de flash-ball. Stéphanie (Léa Drucker) recueille la plainte et prend l’histoire très au sérieux. Le drame est survenu en pleine émeute au moment de la crise des Gilets Jaunes, images d’archives de l’insurrection sur les Champs-Elysées à l’appui. L’inspection est débordée de dossiers à traiter, plus d’une quarantaine par inspecteur et la marmite bout. On sent le pouvoir politique vacillant et ne sachant plus trop quoi faire pour endiguer la marée montante. D’après leurs propos, la République serait menacée. Preuve de la hâte dans laquelle ils réfléchissent, ils décident d’affecter la mission d’ordre public à des brigades qui ne sont pas formées pour cela, comme la BRI.
Or, ce sont précisément cinq membres de cette dernière qui se trouvent impliqués dans l’affaire suivie par Stéphanie. Niant d’abord les faits, ils se trouvent peu à peu coincés par les preuves accumulées contre eux par l’inspectrice qui fait un travail de recoupement des informations, de recueil des témoignages, etc. Malgré tout, ils minimisent les faits. On remarque à quel point les policiers ont toujours une réponse prête pour se disculper même si les raisons qu’ils avancent peuvent paraître parfois – souvent? – comme abracadabrantes. L’absurde n’est pas loin. En contrepoint, les souffrances de la victime, à qui la parole en même temps que sa dignité sera rendue in fine. Mais aussi la colère et l’exaspération d’une mère devant la longueur de la procédure et les failles d’un système qui va finir par se refermer sur lui-même.
L’autorité même arbitraire de la police et donc de l’Etat prime avant toutes choses, même si le droit et la protection des citoyens doivent être éborgnés au passage.
On sent Stéphanie être une personne honnête, dévouée à son travail malgré les reproches qui lui sont faits notamment par son ex-mari, encore policier en action à la Brigade des Stups, de discréditer la profession. Il est peu de dire que l’IGPN est mal vue des policiers qui ont affaire à elle. Alors Stéphanie se replie sur ses amis et sur l’éducation de son fils Victor, figure innocente que le jeune adolescent qui pose une question à laquelle sa mère a bien du mal à répondre : « Pourquoi tout le monde déteste-t-il les policiers? » Le film y répond en partie, mais il s’empêche de généraliser un cas qui reste particulier, malgré le doute qu’on peut avoir qu’il ne soit pas si isolé que cela. Le témoin de l’affaire évoque notamment les violences policières commises dans les quartiers. Mais le plus déterminant se passe au-delà, hors du champ de la caméra, au sein de la sphère du pouvoir.
Il s’agit de ne pas faire de vagues et de ne pas entacher la réputation de la police dans un climat de suspicion généralisée qui commence à naître. On se rappelle que certains responsables politiques – ils étaient alors peu – pointaient du doigt les violences policières commises lors des affrontements de la police avec les manifestants. L’autorité même arbitraire de la police et donc de l’Etat prime avant toutes choses, même si le droit et la protection des citoyens doivent être éborgnés au passage. Démonstration flagrante de ce que peut devenir un Etat policier qui protège les plus puissants contre les pauvres et les opprimés. La justice ne passera pas, c’est dit. C’est la victoire du Destin transcendant émanant de l’Etat, puissance divinisée de la classe bourgeoise : ne parle-t-on pas de « raison d’Etat »? Le film démontre le combat d’une personne seule contre une machinerie puissante et organisée : profession, syndicats, préfet, administration politique en général. Le combat de David contre Goliath. Le film est froid, clinique, et génère une certaine forme de frustration voire de colère sourde. Identique à celle par laquelle se sont clos les évènements eux-mêmes : preuve d’authenticité.


