L’un de nos moments préférés du Festival de Cannes est sans doute celui des conférences de presse du jury et des lauréats, après la cérémonie de clôture. En deux heures et demie, passe ainsi un résumé en accéléré de la compétition du Festival de Cannes, avec ce que l’Histoire en retiendra officiellement. C’est également l’occasion d’en savoir un peu plus sur les motivations des membres du jury, leurs raisons de récompenser tel film plutôt que tel autre.
Après une cérémonie de clôture croquignolesque, digne d’Helzapoppin ou de Mel Brooks, avec un Spike Lee facétieux ne se retenant pas d’annoncer le résultat final à trois reprises avant le moment fatidique, poussant ses collègues du jury à rire aux larmes, (en particulier une Mélanie Laurent hilare), et forçant Tahar Rahim à changer de place et à l’accompagner doucement mais fermement durant tout le Palmarès, nous étions plus que curieux de savoir ce qui avait bien poussé le jury à remettre l’une des Palmes d’or les plus originales et folles de toute l’histoire du Festival, soit donc le tétanisant Titane de Julia Ducournau.
Spike Lee a été décrit par ses collégues du jury comme un Président très ouvert, attentif aux autres et démocratique. S’exprimant sur Titane, il a simplement fait comme commentaire : « j’ai vu beaucoup de films mais je n’ai jamais vu un film où une Cadillac mettait enceinte une femme« . De nombreux membres du jury se sont exprimés pour saluer l’originalité profonde du film de Julia Ducournau. Mylène Farmer, en particulier, s’est déclarée véritablement satisfaite que le jury ait pu récompenser Titane. Jessica Hausner a insisté sur le fait que Titane a étonné tous les membres du jury : « s’il a été récompensé, c’est en raison de sa grande qualité, et il s’est trouvé que le film était réalisé par une femme, mais le genre n’était absolument pas notre critère de décision« . Le choix donc de Titane semble avoir rassemblé une large majorité, hormis une Mélanie Laurent restée quasiment muette lors de la conférence de presse. D’autres membres du jury, Kléber Mendonça Filho et Mati Diop, ont également défendu le choix de l’un des Prix du jury, Le Genou d’Ahed de Nadav Lapid, en raison du caractère brillantissime de la forme. De manière générale, Spike Lee a résumé le difficulté de l’exercice, en répétant plusieurs fois que le jury avait vu 24 films et qu’il ne disposait pas de 24 prix, il a donc fallu effectuer un choix. Il a même rajouté avec pertinence et générosité : « l’important, chez Julia Ducournau, ce n’est pas son genre, c’est son génie et sa folie (her genius and her craziness) ».
En ce qui concerne les lauréats, hormis un Asghar Farhadi, beau perdant, qui a confessé que l’essentiel dans sa vie consistait à raconter des histoires, les prises de parole ne furent pas mémorables, jusqu’à celle de la lauréate de la Palme d’or, Julia Ducournau. A une question sur le collectif 50/50 et le fait d’être la deuxième femme à recevoir une Palme d’or dans toute l’histoire du Festival (la première à recevoir seule une Palme), elle a estimé que le collectif jouait un rôle essentiel mais qu’elle ne trouvait pas que ce qu’elle faisait était défini par l’appartenance à un genre. Elle ne se définit pas par rapport à son genre. A ce sujet, elle a souvent pensé à Jane Campion, la première à avoir remporté la Palme. » le plus important, c’est que cela s’inscrive dans un mouvement. Je suis la deuxième, cela signifie surtout qu’il y en aura d’autres, il y en aura une troisième, une quatrième, une cinquième. »
Vincent Lindon, quant à lui, a déclaré être heureux d’avoir pu se mettre au service de Julia Ducournau, même si ce n’était pas facile de sortir de sa zone de confort. Il a considéré qu’il était heureux d’avoir pu accepter cette proposition qu’il n’aurait peut-être pas acceptée quelques années auparavant, car ce n’était pas évident de se mettre au service d’une femme, en plus beaucoup plus jeune que lui, et qui n’en était qu’à son deuxième film.
A une question sur son parcours exceptionnel – en 2011, il y a dix ans, Julia Ducournau a présenté son premier court métrage Junior à la Semaine de la Critique ; dix ans plus tard, elle reçoit la récompense suprême -, Julia Ducournau a répondu, en étant au bord des larmes, « c’est très émouvant quand vous me dites cela, de l’extérieur. Je ne sais pas quoi dire. Je pense que je suis fière de moi « .
Enfin, à une dernière question sur la liberté qu’elle a eue pour mener à bien son projet, Julia Ducournau a répondu : » Ce n’est jamais facile d’être libre. On doit combattre tout le temps. On doit se battre pour sa liberté. La liberté doit seulement venir de l’intérieur. C’est un combat de tous les jours. Elle n’est jamais acquise. «