Après la somme Kinds of kindness qui, avec ses qualités et défauts, paraissait récapituler tout l’univers et les thématiques de prédilection de Yórgos Lánthimos, en trois heures et le même nombre d’histoires, soit essentiellement sexe, domination et sadisme, Bugonia, dixième film du metteur en scène grec, semble de prime abord presque faire office de récréation ou d’exercice de style sans conséquence. En effet, il s’agit sous l’impulsion d’Ari Aster, du remake du film sud-coréen Save the green planet (2003) de Jang Joon-hwan, une farce de science-fiction autour de complotistes et d’extra-terrestres. Ce serait pourtant mal connaître Yórgos Lánthimos qui imprime fortement sa marque, y compris sur une histoire qu’il n’a pas écrite. Bugonia, sous couvert de fantaisie SF, ressasse donc exactement les mêmes obsessions récurrentes, le sexe en moins, et une touche politique de militantisme écologique anti-capitaliste, en plus.
Teddy (Jesse Plemons), employé dans un centre d’expédition – et aussi apiculteur à ses heures perdues -, adepte des théories du complot, décide avec Don (Aidan Delbis) son cousin, de kidnapper Michelle (Emma Stone), PDG redoutable et sans scrupules d’un grand groupe pharmaceutique, et de l’enchaîner dans le sous-sol de leur maison. Ils sont en effet persuadés qu’elle est en réalité une extraterrestre voulant annihiler la Terre.
Bugonia, sous couvert de fantaisie SF, ressasse donc exactement les mêmes obsessions récurrentes, le sexe en moins, et une touche politique de militantisme écologique anti-capitaliste, en plus.
Pour sa cinquième collaboration avec Yórgos Lánthimos (quatre longs métrages et un court métrage, Vlihi en 2022), Emma Stone ne semble pas avoir épuisé toutes les ressources de leur tandem artistique. Pourtant Kinds of Kindness lui avait offert trois rôles en un seul film. Bugonia paraît alors un sorte de prolongement de ce film à sketches, une sorte de bonus SF offrant une nouvelle confrontation entre Emma Stone et Jesse Plemons, le couple-phare du film précédent. La grande différence réside surtout dans la dimension beaucoup plus politique de Bugonia : Emma Stone interprétant une PDG d’une entreprise pharmaceutique, sans pitié, tellement impitoyable qu’un pauvre employé d’un centre de tri la considérera comme une extra-terrestre et décidera de sauver l’humanité, en la séquestrant et la torturant avec l’aide bienvenue de son cousin.
Or, hormis cette dimension politique, qui révèle Lánthimos en soutien de la cause écologique, le reste ne change quasiment pas : obsession du huis clos (Canines, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré), filmage au grand angle, avec des plans de personnages marchant en légère contre-plongée, dans le style d’Eyes wide shut (Mise à mort du cerf sacré, La Favorite), sadisme de la torture (Kinds of kindness, Mise à mort du cerf sacré). De là découle l’impression certaine que le cinéma de Lánthimos tourne en rond, ne parvenant guère à se renouveler et se contente dans cet exercice de style d’appliquer une recette (une chanson pop, Good luck Babe de Chappell Roan, au lieu de Sweet dreams d’Eurythmics, un lieu unique enfermant ses protagonistes, une pratique de la torture comme outil pour connaître la vérité). De plus, en réfléchissant trente secondes, le résultat de l’affaire est assez rapidement éventé, tout comme dans La Jeune fille et la mort ou Un Simple accident, autres films utilisant le même argument scénaristique du kidnapping de personne soupçonnée du pire.
Dans ses précédents films, Yórgos Lánthimos compensait la noirceur de son univers par des notes d’humour venant de son scénariste Tony McNamara (La Favorite, Pauvres créatures), une complexité narrative bienvenue (Kinds of Kindness), ou la sophistication et l’élégance de sa mise en scène (ses trois précédents films). Avec Bugonia, la noirceur apparaît telle quelle, dans son dénuement, accompagnée de personnages peu dignes d’empathie et d’un resserrement contraignant de l’espace. Même si la confrontation Stone-Plemons tient ses promesses, l’enjeu semble quelque peu vicié dès le départ. Comme l’a souligné Emma Stone, la trame narrative de Bugonia peut faire penser de loin à l’affaire Lucas Mangione, ce jeune homme américain de 27 ans qui avait assassiné Brian Thompson, dirigeant de la compagnie d’assurances santé privée United Healthcare, dans un geste de vengeance contre les ravages attribués à ce secteur. Le film permet ainsi de figurer l’opposition et le duel inégal entre les magnats du secteur de la santé, cf. les Sackler, et les pauvres citoyens-cobayes de ces entreprises. Mais est-ce réellement suffisant? En faisant de Teddy et de Don des fous illuminés, complotistes amateurs, obnubilés par des solutions abracadabrantesques auxquelles le spectateur n’accorde aucun crédit, Yórgos Lánthimos neutralise par avance la sympathie qui aurait pu naître de leur comportement a priori justifié, sous prétexte de préserver toute l’ambiguïté de la situation et un suspense par ailleurs déjà éventé. Seule la toute fin du film, dix minutes de vignettes en plan fixe sur des victimes du monde en déliquescence et en perdition, parvient en bout de course à engendrer une réelle émotion.
Note : 2,5/5
RÉALISATEUR : Yórgos Lánthimos
NATIONALITÉ : américaine, coréenne du Sud
GENRE : comédie, science-fiction
AVEC : Emma Stone, Jesse Plemons, Aidan Delbis, Alicia Silverstone, Stavros Halkias
DURÉE : 1h59
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 26 novembre 2025