Présenté à la Semaine de la Critique à Cannes en 2025, où il a remporté le Prix French Touch, largement mérité, Imago pourrait être qualifié de documentaire à condition de considérer qu’en toute humilité, il excède largement ce terme, se révélant bien plus ambitieux. Il a obtenu l’Oeil d’or récompensant le meilleur documentaire, remis par le jury de Julie Gayet, car il est bien plus qu’un documentaire. Le film part en effet d’un prétexte documentaire – un cinéaste, Déni Oumar Pitsaev, se trouve embarqué par sa famille (sa mère, son cousin) dans l’acquisition d’un lopin de terre, situé dans une enclave, le Pankissi, à la frontière de la Tchétchénie, république de la fédération de Russie, dont il est originaire et qu’il a quittée adolescent à l’âge de 17 ans pour s’établir entre la France et la Belgique. Progressivement, il se rend compte que cette aventure sera l’occasion d’une quête identitaire, d’un retour au pays et d’une confrontation avec ses racines. Il décide d’en faire un film en en improvisant plus ou moins les situations. Enquête documentaire, Imago en est le résultat cinématographique, magnifique, humaniste et plein d’une attention discrète, chaleureuse et respectueuse envers les habitants du Pankissi, mais aussi une quête autofictionnelle autour de traumatismes enfouis depuis des décennies et de secrets inexprimés, restés emprisonnés dans le tréfonds de la mémoire.
Déni est le nouveau propriétaire d’un petit lopin de terre dans une vallée isolée en Géorgie, à la frontière de la Tchétchénie dont il est exilé depuis l’enfance. Il débarque là-bas et projette d’y construire une maison qui tranche drôlement avec les coutumes locales. Un fantasme qui ravive ses souvenirs et ceux de son clan déraciné qui pourtant ne rêve que d’une chose, le marier!
Entre documentaire et autofiction, Imago est ainsi un plaidoyer émouvant et nuancé pour l’humanité et la compréhension de chacun.
Comme l’explique Déni Oumar Pitsaev, ce film est né de deux situations, l’acquisition d’une terre par la mère de Déni et son cousin Daoud, histoire de le rattacher artificiellement à ses origines qu’il avait plus ou moins reniées en quittant son pays, et l’arrivée au Pankissi de son père qu’il connaît à peine, n’ayant passé avec lui que deux nuits sous le même toit. En venant, le père de Déni souhaite le soutenir dans son entreprise de construire une maison au Pankissi, sans doute par remords de l’avoir quasiment abandonné dans son enfance. A une intervalle, deux tournages ont donc eu lieu : le premier permettant d’amadouer la population locale et de mettre en place le projet de construction d’une maison ; le second accueillant l’arrivée du père de Déni et de son autre famille, sa seconde épouse et les demi-frères de Déni.
Dans la première partie du film, Déni découvre le Pankissi, en le visitant avec son cousin Daoud, aussi viril et musculeux que Déni paraît longiligne et dégingandé. Cette association de la carpe et du lapin produit un effet involontairement comique, pendant toute la première moitié du film, où Déni découvre sa propriété et les habitants du voisinage. Au Pankissi, la population ne conçoit pas qu’un homme, à près de quarante ans, ne se soit pas marié ni n’ait voulu avoir des enfants, conception traditionnelle et viriliste de l’homme, à laquelle Déni échappe totalement. Pour lui, ce type de préoccupations représente le cadet de ses soucis. De manière régulière, chaque voisin ou voisine lui posera ainsi cette sempiternelle question du mariage et des enfants, au point que cela deviendra dans le film une sorte de « running gag », (gag récurrent), face auquel Déni improvisera des réponses semblables ou différentes. Le film tourne ainsi autour d’un secret mystérieux, – qui n’est en fait guère difficile à deviner, à condition de savoir un minimum observer -, sorte de zone noire du récit, sur laquelle bute cette sempiternelle demande.
Déni l’explique lui-même dans le dossier de presse du film : « de toute façon, dans n’importe quelle société, il est difficile d’être différent« . Différent, Déni l’est incontestablement. Il détonne dans cette société viriliste et masculiniste, par son apparence mais également par ses goûts, tout comme dans cette séquence hallucinante où il est forcé à tirer avec un revolver, tâche dont il s’acquitte avec peu d’appétence. Lorsqu’il décide de construire une maison dans ce coin perdu, il projette d’en faire une maison sur pilotis, comme une sorte de cabane d’enfant, complètement inadaptée en cas de récidive d’un conflit guerrier. Il le fait par provocation mais surtout par goût de l’esthétisme, éveillant la stupéfaction des régionaux du coin. C’est cette différence irréductible qui lui permet aussi dans une très belle séquence de s’inviter à la table du repas des femmes du village, de recueillir leurs confessions, leurs espoirs perdus, leurs illusions déçues, leurs rêves de bonheur qui ne se sont jamais concrétisées. Cette incroyable séquence capte en quelques minutes tout le ressenti de femmes isolées dans le Pankissi, ressenti qui pourtant ressemble de très près à celui de beaucoup d’autres femmes de par le monde. En cela, Déni Oumar Pitsaev a pu appréhender une rare universalité des sentiments.
Mais Imago ne serait pas le film qu’il est, sans l’arrivée du père et de la belle-famille de Déni, sa belle-mère et ses demi-frères, et la recherche identitaire qu’elle induit. Face à son père, Déni se retrouve confronté au drame de son enfance, un abandon qu’il n’a sans doute pas compris à l’époque et qu’il ne comprend sans doute pas. Il se retrouve aussi face au principe du masculinisme dans sa famille, l’autorité paternelle, à laquelle il a toujours échappé. C’est lors d’une très belle séquence dans la forêt que Déni se permet de poser à son père les questions qu’il n’a jamais osé lui poser. Imago, le titre du film, vient de son père, biologiste, et qualifie le stade terminal du développement d’un insecte. Dans cette séquence en forêt, nous assistons, en évitant un voyeurisme malaisant, au dernier stade de transformation de Déni, celui où il se réconcilie avec lui-même, grâce aux réponses de son père.
Car si Imago déconstruit le masculinisme ambiant, c’est tout en douceur et avec humanité. Le film marque par son caractère méditatif et serein, propre sans doute à la personnalité de Déni Oumar Pitsaev, qui cherche avant tout à échapper aux conflits, même seulement verbaux ou psychologiques, car il nourrit une hantise de la guerre qu’il a côtoyée de près en Tchétchénie. Mine de rien, entre documentaire et autofiction, Imago est ainsi un plaidoyer émouvant et nuancé pour l’humanité et la compréhension de chacun.
Note : 4 sur 5.
RÉALISATEUR : Déni Oumar Pitsaev
NATIONALITÉ : française, belge
GENRE : documentaire, autofiction
AVEC : Déni Oumar Pitsaev, sa famille, les habitants du Pankissi
DURÉE : 1h48
DISTRIBUTEUR : New Story
SORTIE LE 22 octobre 2025