Soundtrack to a coup d’Etat : une envolée swing dans l’histoire de la décolonisation

Multi-récompensé à travers le monde, le film était nommé en 2025 pour l’Oscar du meilleur documentaire et a obtenu le Prix spécial du jury pour le meilleur documentaire au Festival de Sundance. Il retrace l’itinéraire politique de Patrice Lumumba de son rôle de directeur des ventes d’une brasserie jusqu’à son assassinat le 17 janvier 1961 à l’âge de 35 ans en passant par son accession au titre de Premier ministre du Congo du 24 juin au 14 septembre 1960, grâce au succès de son parti, le MNC (Mouvement National Congolais) aux élections générales de mai. Le 30 juin 1960, lors de la cérémonie d’accession à l’indépendance du pays, en réponse au discours paternaliste et condescendant du roi des Belges, Lumumba surprend son monde en commençant son allocution par une salutation aux congolais et congolaises, aux combattants de l’indépendance, en soulignant le rôle de la lutte des indigènes pour leur liberté et en la mettant en parallèle avec l’entreprise menée par les pays africains à cette date pour obtenir leur libération de la tutelle coloniale.

Rappelons en effet que nous sommes en pleine période de la décolonisation de l’Afrique – celle de l’Algérie n’interviendra, on le sait, qu’en 1962 – et qu’il n’est pas innocent que ce soit précisément un réalisateur de nationalité belge qui scrute et explore dans ce film le côté sombre de l’histoire de son pays. On y ressent la ferveur avec laquelle les pays africains, en montée en puissance au sein de l’assemblée représentative de l’ONU, luttent sur le terrain mais aussi sur le plan diplomatique pour obtenir leur indépendance. C’est essentiellement sur ce terrain que se focalise le film. Et de dénoncer le rôle ambigu des Nations-Unies lors de la sécession du Katanga soutenue par la Belgique d’empêcher les soldats congolais de rétablir l’unité de la nation au nom d’un fédéralisme de pacotille. Car, et le documentaire insiste bien là-dessus, les Belges veulent se rendre maîtres et ne sont en réalité intéressés que par les Mines précieuses qui s’y trouvent.

Car au milieu de tout cela c’est la figure tutélaire de l’homme – un homme si jeune pourtant – qui est mise sur le devant de la scène – ou plus exactement face à la caméra – défiant le monde colonialiste occidental de son regard franc et direct derrière ses lunettes aux montures en écaille.

Il s’ouvre d’ailleurs par une séquence informative sur les capacités minières du Congo et son apport pour les puissances occidentales surtout en minerai d’uranium servant à la fabrication de la bombe atomique. La fièvre qui s’empare de l’Afrique – et son rêve d’une Fédération des Etats d’Afrique – est magnifiquement illustrée par la bande-son du film composée d’extraits de concerts joués par les plus grands artistes afro-américains de jazz, de Max Roach au grand John Coltrane, en passant par le be-bop de Dizzy Gillespie, le free-jazz d’Ornette Coleman ou le cool jazz de Miles Davis, sans oublier la voix si particulière de Nina Simone. Mais c’est surtout le trompettiste Satchmo, alias Louis Armstrong, qui est mis sur le devant de la scène, lui qui est envoyé comme ambassadeur des Etats-Unis au Congo, allant même jusqu’à servir de couverture – bien involontairement –  à la CIA.

C’est ainsi que l’alternance des séquences, mettant en parallèle les deux combats, souligne combien la lutte des pays africains pour leur indépendance résonne au sein de la population afro-américaine qui se bat pour ses droits civiques, d’où la présence dans le documentaire de la personnalité de Malcolm X. Les jazzmen, tous d’origine africaine, sont évidemment de parti pris dans les évènements et jouent le jeu d’une Amérique tolérante mais hypocrite qui n’aspire qu’à la mort, la plus rapide possible, de ce diable de Lumumba que la CIA tentera d’éliminer par le poison et autres pratiques létales. Car au milieu de tout cela c’est la figure tutélaire de l’homme – un homme si jeune pourtant – qui est mise sur le devant de la scène – ou plus exactement face à la caméra – défiant le monde colonialiste occidental de son regard franc et direct derrière ses lunettes aux montures en écaille. Le montage – dont il faut particulièrement souligner le travail– maintient un rythme effréné hallucinatoire entre interviews, témoignages, documents d’époque et autres extraits, et nous emporte dans le tourbillon de l’histoire telle une feuille morte dans un vent impétueux. Le jazz y participe et nous sommes saisis par la justesse du ton et des informations qui nous sont livrées en guise de nourriture pour le corps comme pour l’esprit. Un film d’une puissance détonante.

4.5

RÉALISATEUR : Johan Grimonprez
NATIONALITÉ :  Belgique, France, Pays-Bas
GENRE : Documentaire historique
AVEC : Patrice Lumumba, Louis Armstrong, Dizzy Gillespie
DURÉE : 2h30
DISTRIBUTEUR : Les Valseurs
SORTIE LE 1er octobre 2025