© Epicentre Films
© Epicentre films

Baby : Homme sweet homme

S’il y a une constante dans le mandat d’Ava Cahen en tant que Déléguée Générale de la Semaine de la Critique – depuis 2021 – et de son équipe, c’est le désir de mettre en lumière des films où les minorités queer y tiennent une place précieuse. L’année dernière, déjà le Brésil et un pan de sa jeunesse avec l’équipe de volley-ball inclusive de Levante. Cette année, deux films français (Les Reines du drame et La Pampa) et un nouveau battement brésilien, call him by his name : Baby. Le deuxième long-métrage de Marcelo Caetano se situe une nouvelle fois à São Paulo, et comme le dernier film de son compère auriverde Karim Aïnouz, c’est une plongée dans la nuit et ses profondeurs, dans les regards de dangereux jeux de désir, de violence mêlés au braquage d’une joie entravée. 

Grâce à la vie qu’il ne cesse de convoquer, à ses ellipses douces, à son rythme langoureux et à sa réflexion en miroir, Baby déploie les mystères d’un désir masculin, tantôt brillant, tantôt violent, tantôt les deux en même temps, dans un Brésil éloigné de sa représentation carnavalesque.

Sous les auspices de la libération, s’ouvre Baby. Wellington a passé deux ans derrière les barreaux d’une prison pour mineurs. Il avance avec son sweat bleu, passe devant les portes jaunes des cellules derrière lesquelles les prisonniers scandent : “Liberté ! Liberté !” Mais de quelle liberté parlons-nous ? Celle d’un jeune homme qui vient d’acquérir la majorité, attendu par personne à la sortie de la prison et se rendant compte que ses parents l’ont abandonné, déménageant ailleurs sans donner la moindre nouvelle. Wellington erre, zone, retrouve des amis, ne revient pas sur son absence. Le soir, il dort sur un banc. Un policier le réveille, la matraque en érection enfoncée sur sa bouche. “Tu te crois chez toi ?” Pas facile d’être sans toit, à dix-huit ans, sans ressource économique et homosexuel dans les travées de São Paulo. Liberté, j’écris ton autre nom : violence de la solitude. 

Comme souvent, le cinéma devient le lieu où tout peut se réinventer : un même écran, des histoires différentes. Avec quelques amis, Wellington fraude pour s’inviter dans la salle d’un cinéma pornographique. Sur l’écran, une fellation dont les échos érotiques ébranlent les spectateurs qui, à leur tour, s’engagent dans des jeux empreints de concupiscence. Ce soir-là, Wellington croise le regard de Ronaldo qui l’embarque à l’aube. Ronaldo pourrait avoir l’âge de son père, 42 ans, une chaîne en argent autour du cou et un métier d’escort pour se faire du blé. Il enseigne tout à Wellington, prend soin de lui, l’excite. Il lui apprend à se défendre, à frapper dans un sac de boxe, lui sert un thé lorsqu’il a de la température, l’accompagne dans les recherches de sa famille. Dès le début, Wellington l’avait prévenu : “Je ne veux pas d’embrouilles.” Pour autant, difficile de satisfaire les trois cœurs de Ronaldo, tantôt maître, tantôt amant, tantôt parent. 

Lorsqu’il commence à devenir escort, Wellington s’émancipe une nouvelle fois, se présentant aux clients sous ce pseudonyme : Baby. À chaque rencontre, Wellington semble grandir, gardant sa gueule d’ange, son sourire naturel, la force de sa jeunesse, le tout malgré les rencontres plus ou moins hasardeuses. Grâce aux multiples rencontres que fait Baby, à l’âge idoine pour se former, Marcelo Caetano donne à voir le lien générationnel à l’homosexualité. “Ta génération a bien plus de chance” lui dit Alexandre. Baby répond : “C’est facile pour personne.” En attestent les pervers détraqués, l’abus de policiers, une société martiale à l’égard des homosexuels. La violence règne, mais la beauté, notamment celle des corps avec un goût certain pour la texture des peaux – la plénitude de Wellington lorsqu’un client faisant deux fois son poids l’écrase – et la paix se manifestent à plusieurs endroits. Essentiellement dans la recomposition originale d’une famille choisie. Deux femmes, deux hommes, un enfant. Une chaîne humaine sur le canapé en train de démêler les boucles des cheveux, jolie manière de dénouer ensemble les problèmes. Ensuite, dans l’affirmation de sa propre liberté, celle choisie, qui occasionne toujours de la douleur chez d’autres ou des cicatrices comme le laissent voir Wellington et Ronaldo.

Baby, sans l’avoir vu ni attendu, occasionne aussi de nombreuses pensées une fois le film terminé. Il le doit aux mystères du désir, à ses ellipses douces, à son rythme langoureux – celui des corps – à sa réflexion en miroir qui nous fait apprécier les relations entre des identités troubles, les intérêts cachés, les sentiments rejetés, la plénitude furtive et salutaire comme un semblant de combat de boxe sur un toit. Il le doit à la vie qu’il convoque sans cesse : le bruit du tramway, les scènes de rue qui semblent filmées à distance comme un documentaire, à la justesse de ses comédiens. Voilà que le destin d’un Baby n’avait jamais été aussi mature. 

3.5

RÉALISATEUR : Marcelo Caetano
NATIONALITÉ : brésilienne
GENRE : drame, romance
AVEC : João Pedro Mariano, Ricardo Teodoro, Bruna Linzmeyer
DURÉE : 1h47
DISTRIBUTEUR : Epicentre Films
SORTIE LE 19 mars 2025