Blade Runner de Ridley Scott était un chef-d’oeuvre esthétique, poétique et visionnaire. A sa sortie, il n’a pas remporté le succès escompté par ses producteurs. Il est néanmoins devenu un film culte à travers les années, en particulier lorsque la première version director’s cut l’a débarrassé en 1992 d’une voix off superfétatoire. L’idée d’en faire une suite trente-cinq ans plus tard apparaissait plus ou moins comme une folie. Denis Villeneuve (Prisoners, Premier contact) a voulu relever le défi. Se référant au film originel tout en s’en détachant, Blade Runner 2049 tente ainsi de trouver ses marques dans un univers très délimité.
Le premier Blade Runner se distinguait par une splendeur visuelle sans précédent, une poésie inédite et imprévisible (les fameuses larmes dans la pluie du Réplicant Batty) et une réflexion existentielle et vertigineuse sur ce qui constitue notre identité et notre humanité. Il n’était pas pour autant exempt de défauts : une lenteur et une absence de rythme qui lui nuisaient sur le plan narratif ; un manque d’empathie pour les personnages, pantins désincarnés, perdus dans une mégalopole dénuée d’âme. Précisons à toutes fins utiles que la lenteur n’est pas forcément un problème au cinéma (La Maman et la putain ou Paris, Texas sont assez lents mais disposent d’un rythme interne implacable).
Complément à l’originel, manifestant du respect mais prenant ses distances, Blade Runner 2049 n’est ni un chef-d’oeuvre ni une catastrophe mais une suite honnête qui manifeste moins de poésie et d’élan visionnaire que le premier.
Or, ce qui est amusant avec Blade Runner 2049, c’est que, reprenant une bonne partie des qualités du premier, en particulier la magnificence visuelle due cette fois-ci à Roger Deakins, le chef opérateur attitré des frères Coen (même si elle ne fait pas oublier la précision millimétrique de Jordan Cronenweth), il reprend également le défaut le plus symptomatique de l’œuvre de Ridley Scott, son absence de rythme. C’est sans nul doute volontaire de la part de Denis Villeneuve qui a voulu s’inscrire dans les pas de son devancier et proposer une expérience cinématographique, à rebours des blockbusters d’action au montage haché dont Hollywood nous abreuve. Blade Runner 2049 n’est donc pas Mad Max Fury Road ou les productions Marvel ou DC Comics ; il s’apparenterait davantage à une expérience métaphysique de deux heures quarante, évoquant d’assez loin Stalker de Tarkovski. Le premier Blade Runner évoquait déjà Stalker et dans la nouvelle version, cette influence se ressent dans la longue exposition qui dure quasiment une heure et demie, sorte de test pour éprouver la résistance du spectateur et sa capacité à être emmené ailleurs. Le film de Denis Villeneuve est ainsi un peu volontairement déséquilibré, une heure et demie très contemplative précédant une accélération hystérique de l’action dans sa dernière demi-heure.
On peut choisir d’embarquer (ou non) pour ce voyage aux confins de l’identité. Les points forts du film se mélangent avec ses défauts: une photographie sublime côtoie une bande-son assourdissante et pachydermique. De manière générale, en dépit de la beauté incontestable de ses plans, il est possible de regretter un manque de subtilité dans ses dialogues ou sa mise en scène. Pour prendre quelques exemples, la méchante de l’histoire est, en dépit de la puissance de l’actrice (Sylvia Hoeks), traitée de manière beaucoup trop caricaturale, faisant regretter l’âme qui perçait derrière l’impressionnante carapace de Rutger Hauer. Enfin, alors que des gouttes de pluie faisaient surgir la poésie dans l’originel, Villeneuve a besoin d’un énorme déluge lors du duel final pour justifier la qualification de blockbuster pour son film.
Au-delà de ce manque de subtilité et de cette torpeur qui le guette, Blade Runner 2049 possède néanmoins de véritables moments de poésie, au nombre de trois: la scène d’amour virtuel où Joi, la compagne de K., le héros, convoque une prostituée pour se fondre en elle, le tout se résolvant en un trio hallucinant où les deux femmes se confondent sans qu’on sache exactement qui apparaît ou disparaît au détour d’un plan ; la séquence où, comme dans Benjamin Button ou le dernier plan de Rogue One, Villeneuve ressuscite dans sa prime et altière jeunesse un personnage adoré des fans de la version originelle; enfin la séquence où Ryan Gosling et Harrison Ford discutent dans un immense salon décoré par des hologrammes en réduction d’Elvis Presley ou Frank Sinatra, nous faisant ressentir à quel point notre attachement à nos icônes du temps présent est voué à s’évaporer, ou a minima à s’amoindrir, à rapetisser.
Car le véritable sujet de Blade Runner 2049, c’est ce qui constitue notre identité. L’agent Blade Runner KB36-3.7, connu aussi sous le nom de K., voire de Joe (clin d’œil assumé à Kafka et à son Procès), se trouve comme Hamlet en plein questionnement existentiel. A priori réplicant, il s’interroge sur ses souvenirs d’enfance qui pourraient être des implants. Est-il humain ou non? Serait-il une sorte d’Elu, mutant d’une nouvelle génération? Ce faisant, son enquête le ménera jusqu’à Rick Deckard, l’ancien Blade Runner. La relation qui unira K. à Deckard symbolisera un peu le statut de cette suite par rapport au précédent Blade Runner. On pouvait suspecter une nature potentielle de réplicant chez Rick Deckard dans le film de Ridley Scott; cette fois-ci, de façon parallèle, c’est K. qui se demande s’il pourrait être malgré tout un être humain. Complément à l’originel, manifestant du respect mais prenant ses distances, Blade Runner 2049 n’est ni un chef-d’oeuvre ni une catastrophe mais une suite honnête qui manifeste moins de poésie et d’élan visionnaire que le premier.
Avec Blade Runner 2049, Denis Villeneuve confirme incontestablement son talent de faiseur, ce qui raménera sans doute beaucoup d’Oscars techniques à la clé. Certes, on peut préférer ses premiers films canadiens où il témoignait de davantage de sincérité (Polytechnique, Maelstrom, Incendies) et trouver ses films américains, malgré leur efficacité certaine, un peu trop balisés et parfois trop lourds du côté stylistique. Il est même possible d’interpréter son nouveau film comme une métaphore de son statut d’artisan hollywoodien, réplicant de formules déjà existantes, s’interrogeant sur son âme qui ne voudrait pas disparaître.