L’Etrange Festival 2020 touche à sa fin : plus que deux jours. On finit en apothéose avec les avant-premières de Kajillionaire, merveilleux film de Miranda July, Lux Aeterna de Gaspar Noé et la séance de clôture. Gaspar Noé promet une surprise lors de sa présentation de Lux Aeterna, on peut faire confiance à ce trublion pour tenir ses promesses, nous serons là pour en rendre compte.
Ce vendredi, The Trouble with being born de Sandra Wollner introduisait une réflexion sur les enfants androïdes qui permettent de suppléer au manque et au besoin d’affection de personnes en deuil. Certes, son titre, inspiré par De l’inconvénient d’être né de Cioran, est peut-être bien trop ambitieux pour le film qu’il recouvre. Pourtant il parvient uniquement par la direction d’acteurs et un maquillage minimal à rendre des enfants particulièrement flippants, dans leur jeu de regards et leurs attitudes. Le plus joli moment du film est sans doute lorsque ces enfants se réapproprient la mémoire de ceux qui les ont précédés en écoutant l’énonciation de l’adulte qui les héberge, commentant des photos jaunies. Les situations s’inversent, dans un switch presque lynchien : l’adulte homme devient femme, l’androïde change de genre. Même si le film comporte des moments assez lymphatiques, The Trouble with being born mérite toute l’attention du spectateur par ses choix de mise en scène privilégiant le chuchotement. Un joli film qu’on craint de ne pas voir en salle, il ne sortira probablement pas chez nous, en raison de cette esthétique très autistique. Il ne figure pas parmi les films en compétition pour le Prix du Public, ni pour le Prix Nouveau Genre, ce qui laisse mal augurer de la suite. Il aura été vu au moins par quelques spectateurs de l’Etrange Festival un après-midi d’été…
En revanche, il y avait foule pour l’avant-première de Kajillionaire de Miranda July, la salle 500 du Forum des Images retrouvant presque sa contenance des plus beaux jours. Comédie décalée sur des marginaux, où Miranda July s’autorise à rythmer son film par des tremblements de terre et à filmer une séquence plongée totalement dans l’obscurité, Kajillionaire touche juste en ces temps trumpistes et permet à Evan Rachel Wood de démontrer tout le talent de formidable actrice qu’elle a toujours eu. Dans le rôle d’Old Dolio, jeune femme dressée par ses parents à voler et arnaquer, elle laisse son personnage dévoiler des facettes d’émotions et de sentiments réprimés de manière absolument magistrale. Debra Winger (Rachel se marie), rarissime sur les écrans, et Richard Jenkins (Six Feet Under) ne sont pas en reste, contribuant au ton loufoque et surréaliste du nouveau film de Miranda July, en compétition à l’Etrange Festival ainsi qu’à Deauville. On espère qu’il sera distingué dans l’un et/ou l’autre de ces deux festivals. Le film sera projeté à nouveau à l’Etrange Festival dimanche soir. N’hésitez pas à réserver en ligne!
Nous n’avons guère parlé des courts métrages à l’Etrange Festival. Or de nombreuses séances y sont consacrées, dans le cadre d’une compétition. Ce vendredi, nous avons eu l’occasion de rattraper la séance numéro 7 des courts métrages, intitulée Make Evil Great Again. Huit courts métrages étaient ainsi projetés dont deux ou trois traitant plus ou moins de #metoo : deux jeunes femmes résistant à un harcèlement, une femme et ses rapports avec son vagin, une autre harcelée par des textos de plus en plus menaçants. Le reste se répartissait entre un court sur l’angoisse sécuritaire et deux films d’animation. C’était surtout l’occasion de retrouver Bertrand Mandico qui avait été porté aux nues par l’ancienne rédaction des Cahiers du Cinéma, celle de l’ère Delorme. On ne sait si la nouvelle rédaction des Cahiers sera tout aussi dithyrambique à l’égard de Mandico. Pour notre part, même en ayant trouvé Les Garçons sauvages intéressant mais ne tenant pas forcément la distance du long métrage, ce sont surtout ses courts et Ultra Pulpe qui nous ont plutôt séduits. Certes, il faudra sans doute réviser à la baisse l’avis d’un Pacôme Thiellement aveuglé par l’amitié qui considérait que Ultra Pulpe était le plus beau film français de ces trente dernières années. En effet, The Return of Tragedy déploie sur plus de vingt minutes seulement deux idées de scénario : deux policiers veulent interroger un certain John Katebush (hommage incongru à la meilleure artiste féminine de la chanson pop) tandis qu’Elina Lewinsohn contemple allongée ses boyaux suspendus dans l’air. Pour la forme, Mandico a abandonné le baroquisme esthétisant de Ultra Pulpe et s’est plus ou moins converti au filmage joyeusement bâclé d’Harmony Korine ou de Quentin Dupieux. Original et sympathique mais guère inoubliable.
Enfin nous avons terminé une journée qui s’est avérée l’une des plus riches et longues du Festival par la projection du premier volet de la trilogie de Seijun Suzuki. En apparence plus conventionnel que Brumes de Chaleur, Mélodie Tzigane finit par devenir aussi incompréhensible que son successeur dans la trilogie. Echaudés peut-être par la projection de Brumes de chaleur, les spectateurs avaient inexplicablement fondu dans la salle 500, se concentrant sur la partie centrale des sièges. Il faut reconnaître que, à côté de ces films de Seijun Suzuki, les oeuvres de David Lynch sont parfaitement claires et limpides. A partir d’un certain moment, il s’avère préférable de lâcher prise et de s’abandonner au flot d’images, pour mieux apprécier ce type de films. Or, Mélodie Tzigane regorge de plans sublimes comme celui d’une geisha léchant l’oeil d’un homme, ceux d’une séquence de plage où des aveugles s’affrontent au bâton ou encore une séquence formidable où Suzuki filme une conversation téléphonique en panotant d’un interlocuteur à un autre, les deux se trouvant dans la même pièce…Par conséquent, pour son inventivité et son sens esthétique, Mélodie Tzigane vaut le détour, à condition de ne pas se focaliser outre mesure sur l’histoire.