Sleep : Esprit, es-tu là ?

Comme l’a prétendu la déléguée générale de la sélection de la Semaine de la critique, si vous avez déjà du mal à dormir, évitez Sleep ! Non, sans rire, le sud-coréen Jason Yu – qui a assisté Bong Joon-ho – réalise un premier film d’une très grande maîtrise, qui en fera frémir plus d’un, et qui en plus de travailler le genre – horreur, fantastique et comique –, pose les bases d’une réflexion sur le couple et la famille, la croyance et la tradition, la conscience et l’inconscient, la science et la médecine, pris dans son utopie ou son fantasme d’osmose et de bien-vivre ensemble, et pourtant… Ils sont mari et femme, elle attend un enfant, sa mère veille, il tente des rôles pour le cinéma alors qu’elle écrit. Le vieux voisin du dessous se plaignait de leur nuisance sonore quand la nouvelle famille, mère et jeune fils, s’en plaint aussi. C’est que ces bruits, on les entend, mais surtout l’époux se met à faire du somnambulisme. Au début, monsieur se gratte la joue à se faire saigner, bon, mais peu à peu, c’est le frigidaire qu’il se met à vider la nuit, mangeant les œufs avec leur coque, les poissons avec leurs écailles, ou enfermant leur spitz nain Pepper dans le congélateur… C’est à présent la femme qui n’arrive plus à dormir, qui pâlit de nuit en jour, et devient paranoïaque. Passage chez le médecin plutôt modérer à traiter le symptôme, intervention d’une exorciste amie de la belle-maman plutôt radicale à faire passer les effets, c’est finalement l’épouse, après avoir accouché, qui finira dans un hôpital psychiatrique…

Thème et variations autour des esprits et des fantômes, pour venir compléter le tableau familial, et faire les poils se hérisser !

La particularité de Sleep consiste en son savant mélange, que d’aucuns trouveront classique, entre sa forme horrifique et ses passages comiques. Jason Yu parvient ainsi à nous maintenir dans une tension – avec les effets des jump scare, les jeux sur les objets, les vues sur ou derrière les portes, vitres, miroirs ou angles morts dans l’appartement – et génère le rire, qui est provoqué par les attitudes ou les réactions des personnages – un geste, une réplique, une attitude, par exemple lorsque l’épouse balance soudainement une boite de médicament à la gueule du médecin. Petit bruit vient ainsi produire grand frisson et le tout est couvert par une musique extrêmement enveloppante et forte – parfois trop, à la manière d’une symphonie jouée par l’esprit qui a pénétré le mari. Ainsi un jeu de miroir se crée entre l’intimité des scènes qui se déroulent dans un décor qui se referme, l’appartement et la plupart du temps une de ses pièces fermée à clé par l’épouse pour se protéger – la chambre, la salle de bain quand ce n’est pas carrément réduit à l’intérieur d’un mobilier ménager, une casserole ou une benne extérieure –, et l’intimité de la vie de couple des personnages, qui n’existe plus. La thématique, qu’on dévoile, est celle de l’esprit ou du fantôme, qui aurait pénétré l’esprit et le corps de l’être. Petite ficelle au passage, une trappe visible au mur du plafond du dessous que l’épouse fixera longuement avant d’imaginer qu’à l’intérieur s’y trouve quelque chose de caché, qui et pourquoi ? À ce titre, c’est une performance de la part de Yu-mi Jeong qui va littéralement devenir dingue à la manière d’une descente aux enfers quand Sun-kyun Lee jouera plutôt de la variation, lui qui s’endort et ronfle sans la conscience de son mal, obligé de croire sa femme sur parole, lui qui tente de résoudre le problème sans succès facile… C’est également un travail sur la photographie, les couleurs notamment, vu que la plupart du temps les ambiances sont sombres, et les plans, avec des jeux de travellings à éloigner ou rapprocher, au plus près des émotions des personnages, et peu à peu, de leur (et la nôtre) angoisse grandissante quand ce n‘est pas leur désespérance. Désespérance de voir le couple se déchirer puisque les tentatives de résolution finissent en scènes de conflits puis d’affrontements dans un crescendo orchestrée par une épouse comme ensorcelée, malgré les messages sous forme de mantras au mur vénérant la force que procure l’union.

Si l’on envie cet appartement magnifique, ce n’est pas dans sa couche qu’on dormirait au risque de voir finir son chat dans le congélateur ou son chien dans sa machine à laver…

Au final, Sleep tire sa substantifique moelle d’une histoire de fantômes, parlant de vie et de mort, de disparition et de résurrection, mais surtout va sur le terrain de la conjugalité qui est autant un risque ou un danger qu’une joie lorsque demeure la fidélité – à l’autre et à soi. Malgré sa lourdeur, on retient des scènes grandioses et marquantes comme ces murs emplis de messages à étouffer des morts qui voudraient passer les portes pour se décloisonner… et qu’on les oublie jamais…

3.5

RÉALISATEUR : Jason Yu  
NATIONALITÉ : Sud-Coréenne
GENRE : Comédie horrifique
AVEC : Yu-mi Jeong, Sun-kyun Lee
DURÉE : 1h35
DISTRIBUTEUR : The Jokers / Les Bookmakers
SORTIE LE 21 février 2024