Annie Colère - France - 2h - sortie : 30/11/22 - 2022 - Réalisatrice : Blandine Lenoir - Scénaristes : Blandine Lenoir et Axelle Ropert - LEGENDE PHOTO : Zita Hanrot, Laure Calamy, Rosemary Standley et India Hair -

Annie Colère : la tendresse, c’est politique

La thématique de l’avortement est revenue en force lors de ces deux dernières années. Alors que l’avortement avait été autorisé aux Etats-Unis dans tous les Etats sous certaines conditions, l’interdiction de pratiquer l’interruption volontaire de grossesse le 15 mai 2019 dans l’Alabama a changé la donne. Dans l’Ohio, en septembre 2019, une proposition de loi visait même à poursuivre une femme ayant eu recours à l’IVG et le médecin ayant procédé à l’intervention pourraient être poursuivis pour meurtre, et donc à rendre l’interruption volontaire de grossesse passible de peine de mort. Les Etats-Unis ont ensuite basculé le 24 juin 2022 lorsque sa Cour Suprême a annulé l’arrêt Roe Vs Wade qui reconnaissait le droit à l’avortement au niveau fédéral. En France, rien de tout cela n’est encore arrivé mais du côté du cinéma, trois films se sont succédés avec l’avortement en toile de fond : L’Evénement qui montrait combien la difficulté pour réussir à se faire avorter transformait la vie de jeunes filles en pur cauchemar dans les années soixante ; Simone, le voyage du siécle, qui retraçait la vie de celle qui a laissé son nom à la loi Veil du 17 janvier 1975 qui a dépénalisé l’interruption volontaire de grossesse ; enfin Annie Colère, qui retrace le parcours d’une femme qui a participé au MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), fondé en avril 1973, mouvement qui a sans doute fait beaucoup pour changer les mentalités et rendre la loi Veil nécessaire et incontournable, en pratiquant ouvertement des avortements illégaux. Annie Colère décrit ainsi avec exactitude et compassion le combat des anonymes, des invisibles, des femmes de l’ombre, qui, au moins autant que Simone Veil, ont contribué à faire bouger la société sur ce sujet d’une importance cruciale.

Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l’avortement un nouveau sens à sa vie.

Annie Colère décrit ainsi avec exactitude et compassion le combat des anonymes, des invisibles, des femmes de l’ombre, qui, au moins autant que Simone Veil, ont contribué à faire bouger la société sur ce sujet d’une importance cruciale.

La réalisatrice d’Annie Colère, Blandine Lenoir n’est pas une inconnue, loin de là : elle a interprété la fameuse fille du boucher dans Carne et Seul contre tous de Gaspar Noé. Elle a également déjà tourné deux films qu’on pourrait, sans crainte de se tromper, qualifier de « féministes » : Zouzou, sur l’activité sexuelle d’une femme de soixante ans, et Aurore sur le drame d’une femme de cinquante ans, en proie à la précarité et à la ménopause, poussée vers la sortie par une société hostile. Cette fois-ci, elle se penche sur des protagonistes toujours féminines mais bien plus jeunes, plongées dans la noirceur et l’étroitesse des terrifiantes années soixante-dix, à la merci de grossesses non désirées et à la recherche d’une aide concrète et bienveillante. Annie (épatante Laure Calamy) va découvrir son destin en s’engageant dans le MLAC, à la suite d’une grossesse accidentelle. Elle qui avait surtout appris à se taire et à se conformer aux injonctions de son père ou de son mari, soit de la domination masculine patriarcale, va soudainement se révéler à elle-même, se découvrir une importance qu’elle n’avait jamais soupçonnée, en aidant, en conseillant, en accompagnant toutes ces femmes, ses soeurs sur le chemin de la libération de leur corps. C’est en trouvant une écoute attentive, celle d’un médecin compatissant et bienveillant, qu’elle pourra répercuter la même écoute auprès de toutes les femmes qui viendront chercher écoute et réconfort au MLAC.

La reconstitution des années soixante-dix est absolument magistrale : tout s’y trouve, de la cafetière d’époque à la laideur immonde du papier peint (exactement similaire à celle des Chabrol pompidoliens qui ont documenté avec exactitude cette période), en passant par le grain de l’image qui restitue le flou beige de cette décennie. Il s’agit pour Blandine Lenoir de rendre hommage au courage de ces femmes qui ont donné de leur temps et quasiment sacrifié leur vie de famille pour aider au sens le plus noble du terme celles qui en avaient besoin. Alors que le terme de sororité apparaît bien galvaudé en ces temps récents, et a bien du mal à apparaître dans des films qui, pourtant, le convoquant à outrance, comme La Maison, la sororité, la vraie, la voilà ici qui resplendit de ses plus beaux atours. En tant que femme, même n’ayant pas vécu cette douloureuse période, on ne peut qu’être chavirée par cette évocations de ces temps qui ne sont pas si lointains. En tant qu’homme, on ne peut qu’être bouleversé aussi par certains passages de ce film comme celui où Rosemarie Standley, la chanteuse de Moriarty, fredonne A la claire fontaine pour apaiser celles qui se font avorter au MLAC ; ou encore quand une jeune fille plus authentique que nature marmonne quelques mots (époustouflante Elisa Lifshitz dans le rôle de Chantal) pour avouer sa honte et sa peine. Un des plus beaux moments du film provient d’un extrait télévisé, où l’immense Delphine Seyrig se rebelle contre la moralisation des opposants à la légalisation de l’avortement. La puissance de déflagration de Delphine Seyrig sur l’expression maladroite « les amours vagabondes » reste intacte, d’un lyrisme de feu, et dit tout sur ce combat où beaucoup de femmes ont dû malheureusement se taire. La grande force de ce film, c’est qu’il met en scène une sororité authentique mais sans être agressive et vindicative à l’égard des hommes, ce que montre le MLAC en accueillant tous les hommes volontaires pour soutenir la cause. Tout au plus, un collègue du mari d’Annie se montrera stupide et rétrograde par ses remarques, mais son idiotie est davantage traitée comme un égarement en raison de son manque de lumières, que comme une réelle méchanceté.

Sororité donc la voilà, une sororité bienveillante, qui réconforte les femmes et n’exclut pas les hommes. C’est ainsi le projet cinématographique et politique de Blandine Lenoir (et de Laure Calamy) de présenter à travers une direction exemplaire d’acteurs (et surtout d’actrices, cf. les remarquables Zita Henrot, India Hair, Louise Labèque, la « fille de cinéma » de Bertrand Bonello, qu’on a plaisir à retrouver ici, etc.) cette lutte pour obtenir le droit à l’avortement, vue par les petites, les sans-grades, celles qui ont été invisibilisées par l’officialisation de la loi Veil. Le film ne se prive d’ailleurs pas d’évaluer réellement la portée de cette loi : une bonne loi, nécessaire mais pas suffisante, qui n’était pas à l’époque remboursée par la sécurité sociale et réclamait l’autorisation des parents pour les mineures. Annie Colère est ainsi un film passionné, militant mais lucide sur les avancées de la société, en espérant servir d’avertissement pour ne jamais en arriver à des régressions futures.

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RÉALISATEUR :   Blandine Lenoir 
NATIONALITÉ : française
GENRE : comédie dramatique  
AVEC : Laure Calamy, Zita Henrot, India Hair, Rosemary Standley. 
DURÉE : 2h 
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution 
SORTIE LE 30 novembre 2022